"Laissons de côté ce qui nous sépare, approfondissons ce qui nous unit ? "
Les hommes de coeur qui mondialisent à l'envi ne veulent pas les conséquences de ce qu'ils veulent. Ils voudraient le nous sans le eux, et l'Europe sans les guichets "non membres de l'UE" à l'aéroport. L'identité sans la frontière. Comme si l'on pouvait avoir le tranquillisant sans l'excitant, le chic sans le moche, la soudure sans la coupure. Tous les bénéfices de l'indivision en interne sans les inconvénients en externe. Le principe de plaisir sans rien à payer. Pathos lénifiant (la salle applaudit) mais bientôt inopérant (la salle conspue)
Quant aux fabricants de Meccano institutionnels, ils veulent l'horizontale sans la verticale, la puissance américaine sans la religiosité américaine, le contrepoids du dollar avec une devise sans devise, les Etats-Unis d'Europe sans le serment au drapeau du matin, main sur le coeur, dans toutes les écoles. Les enfants gâtés du relativisme voudraient l'agglutinant sans le transcendant, le conjonctif sans le disjonctif, le dedans sans le dessus.
Même s'ils appellent "réalisme" leur principe de plaisir à eux, nos technocrates, malgré l'air pincé, l'attaché-case et la cravate, sont aussi étrangers à la pratique que les éthérés qui parlent de donner une âme à l'Europe en oubliant que l'âme, cela ne s'ajoute ni ne se fabrique, cela se retrouve.
Régis Debray, Le feu sacré, Identités p251, Folio Essais, 2003