• : HISTOIRE-GÉO en LIBERTÉ
  • : Ce lieu permet d'approfondir les thèmes abordés en classe, de clarifier des points essentiels de méthodologie et d'affûter son esprit critique. Il est dédié aux esprits curieux qui ont soif de compréhension et de liberté intellectuelle.
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"N'oublie pas de rechercher aussi le bonheur que procure une compréhension nouvelle, apportant un lien supplémentaire entre le monde et toi. Ce devrait être l'oeuvre à laquelle tu apportes le plus grand soin, et dont tu puisses être le plus fier."

 

Albert Jacquard, A toi qui n'est pas encore né.

"On se fait généralement du progrès une idée fort élémentaire"

 

Régine Pernoud (1909-1998), historienne

"Moins d'histoire et de chronologie, ça ne va pas faire des jeunes gens modernes, ça va faire des jeunes gens amnésiques, consensuels et obéissants

Régis Debray

 

 

"Les véritables hommes de progrès ont pour point de départ un respect profond du passé"

Ernest Renan

 

 

29 novembre 2017 3 29 /11 /novembre /2017 14:16

 

L'autoritarisme des régimes socialistes actuels a encouragé au sein de la Gauche non seulement une compréhension nouvelle de la démocratie politique, mais également la croyance grandissante qu'une "révolution culturelle" pourrait être l'élément décisif si l'on veut tenter de mettre en place une société réellement démocratique. (...) Ce concept insaisissable suppose en général que les vieilles habitudes de soumission à l'autorité tendent à réapparaître d'elles-mêmes au sein même des mouvements dont les objectifs sont démocratiques, et qu'à moins que ces habitudes soient extirpées à la racine, les mouvements révolutionnaires continueront à recréer  les conditions qu'ils cherchent précisément à abolir. 

 

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(...) Mais quoi qu'il en soit, toutes ces positions - quant à la révolution culturelle à mener - se basent sur un socle commun de postulats relatifs aux effets  dissolvants de la modernité sur les modes de pensée "traditionnels". La démocratisation de la culture, si l'on en croît cette opinion dominante, exigerait au préalable un programme éducatif ou un processus capable d'arracher les individus à leur contexte familier, et d'affaiblir les liens de parenté, les traditions locales et régionales, et toutes les formes d'enracinement dans un lieu. (...)

Ce modèle implicite d'éducation éclairée exige d'être révisé. Il est à bien des égards profondément fallacieux. Il sous-estime la solidité et la valeur des attachements traditionnels. Il donne à tort l'impression d'une stagnation intellectuelle et technologique des sociétés "traditionnelles", et il encourage par là une surestimation des réalisations de l'esprit moderne émancipé. Non seulement il exagère les effets libérateurs du déracinement, mais il défend une conception très pauvre de la liberté. Il confond, en effet, la liberté avec l'absence de contraintes. (...)

Depuis le XVIII siècle, l'offensive contre les particularismes culturels et l'autorité patriarcale, qui encourageait - tout du moins au début -  la confiance en soi et la pensée critique, s'est trouvée accompagnée de la création d'un marché universel de marchandises, dont les effets furent exactement inverses. Ces deux processus appartiennent indissolublement à la même séquence historique. Le développement d'un marché de masse qui détruit l'intimité, décourage l'esprit critique et rend les individus dépendants de la consommation, qui est supposée satisfaire leurs besoins, anéantit les possibilités d'émancipation que la suppression des anciennes contraintes pesant sur l'imagination et l'intelligence avait laissé entrevoir. En conséquence, la liberté prise par rapport à ces contraintes en vient souvent, dans la pratique, à signifier la seule liberté de choisir entre des marchandises plus ou moins similaires. L'homme ou la femme moderne, éclairé, émancipé, se révèle ainsi, lorsqu'on y regarde de plus près, n'être qu'un consommateur beaucoup moins souverain qu'on ne le croît. Loin d'assister à la démocratisation de la culture, il semble que nous soyons plutôt les témoins de son assimilation totale aux exigences du marché.

Or la confusion entre la démocratie et la libre circulation des biens de consommation est devenue si profonde que les critiques formulées contre cette industrialisation de la culture sont désormais automatiquement rejetées comme critiques de la démocratie elle-même; tandis que , d'un autre côté, la culture  de masse en vient à être défendue au nom de l'idée qu'elle permet à chacun d'accéder à un éventail de choix jadis réservés aux riches. (...)

Le trait le plus remarquable de ce débat sur la culture de masse est le fait que beaucoup de partisans de la gauche, par souci de se disculper du moindre soupçon d'élitisme, ont fini - pour défendre la culture de masse - par recourir à une variante de cette idéologie de la libre entreprise, qu'ils rejetteraient sur le champ si d'autres l'utilisaient comme un argument  destiné à soustraire le monde insdustriel aux interventions gouvernementales. (...) La "noble vision" évoquée par Whitman1 d'une culture démocratique élaborée par des intellectuels "à la fois si talentueux et si populaires qu'ils pourraient en influencer les élections" en était venue à apparaître absurde. 

Les avocats d'une culture de haut niveau se retrouvaient ainsi sur les mêmes positions que leurs adversaires. Aucune des deux parties ne croyait plus à la possibilité d'une véritable démocratisation de la culture. (...) Les écoles  ont abandonné tout effort réel de transmettre "ce que l'on sait  et ce que l'on pense de mieux dans le monde". Elles travaillent sur la base du postulat qui veut qu'une culture de haut niveau soit intrinsèquement élitiste, que personne ne devrait être obligé d'apprendre quoi que ce soit de difficile.

Christopher Lasch, Culture de masse ou culture populaire ? (1981)

 

1- Poète et humaniste américain (1819-1892)

 

Questions

1.Résumez les critiques principales formulées par C. Lasch quant à la culture de masse

2.Expliquez la phrase soulignée dans l'extrait.

3.La vision défendue par Whitman correspond-elle à la culture de masse ? Justifiez votre réponse

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