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"N'oublie pas de rechercher aussi le bonheur que procure une compréhension nouvelle, apportant un lien supplémentaire entre le monde et toi. Ce devrait être l'oeuvre à laquelle tu apportes le plus grand soin, et dont tu puisses être le plus fier."

 

Albert Jacquard, A toi qui n'est pas encore né.

"On se fait généralement du progrès une idée fort élémentaire"

 

Régine Pernoud (1909-1998), historienne

"Moins d'histoire et de chronologie, ça ne va pas faire des jeunes gens modernes, ça va faire des jeunes gens amnésiques, consensuels et obéissants

Régis Debray

 

 

"Les véritables hommes de progrès ont pour point de départ un respect profond du passé"

Ernest Renan

 

 

13 mai 2014 2 13 /05 /mai /2014 09:12

Imprégnée du concept chrétien d'un Dieu qui se manifeste dans la rationalité de la nature, imbue de la notion de loi civile dans la vie en société, l'Europe médiévale constituait un terreau particulièrement fertile pour l'émergence de l'idée de lois naturelles et donc pour celle de la science.

science 5On peut se demander pourquoi celle-ci n'a pas vu le jour en Chine qui, pourtant, était dotée d'une culture millénaire, sophistiquée et complexe, et était technologiquement en avance sur l'Occident sur bien des plans (les Chinois avaient par exemple inventé avant les Européens la poudre et la boussole). Je pense que la raison gît dans la conception de la Nature des Chinois. Pour eux, le monde naturel ne résultait pas de l'acte d'un Dieu créateur et dispensateur de lois, mais était engendré par l'action réciproque et dynamique de deux forces polaires: le Yin et le Yang. Parce que la notion de lois de la Nature ne s'imposait pas, les Chinois ne se donnèrent pas la peine de les rechercher.

D'autre part les Chinois avaient une conception holistique de la Nature, où chaque partie interagissait avec chaque autre partie, formant un tout harmonieux qui était plus que la somme des parties individuelles. Ce point de vue holistique ne favorisa pas le développement de l'idée selon laquelle, dans un premier temps, la Nature peut être décomposée en ses parties, et chaque partie être étudiée indépendamment des autres, idée qui est à la base de la méthode réductionniste et qui a permis d'édifier une large part de la science occidentale. Cette dernière ne serait pas possible si nous ne pouvions comprendre une petite fraction de l'Univers sans en comprendre le tout.

Il est évident qu'une approche purement réductionniste ne saurait être le mot de la fin. Nous avons vu que des systèmes considérés dans leur ensemble possèdent des propriétés émergentes qui ne peuvent être déduites de l'étude des composantes individuelles. Par exemple, nous ne pouvons déduire la vie à partir de l'étude de particule élémentaires inanimées. Mais l'approche holistique n'exclut pas l'approche réductionniste: elles sont complémentaires et nous aident toutes deux à percer les secrets de la Nature. Une question demeure cependant: comment se fait-il que nous puissions comprendre une toute petite partie de la Nature sans en comprendre le tout ?

 

Trinh Wuan Thuan, Le Chaos et l'harmonie, 1997

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4 avril 2014 5 04 /04 /avril /2014 12:07

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Les successeurs chrétiens des Grecs repoussaient l'idée d'un univers régi par des lois naturelles aveugles, tout comme ils rejetaient celle d'un univers où l'homme n'occuperait pas une place privilégiée. Malgré l'absence d'un système philosophique cohérent et unique, il était communément admis au Moyen âge que l'Univers était le jouet de Dieu, et la religion était considérée comme un sujet d'étude bien plus intéressant que les phénomènes naturels. Ainsi en 1277, l'évêque de Paris Etienne Tempier, sur instruction du pape Jean XXI, a publié un recueil de 219 erreurs ou hérésies condamnables. Parmi celles-ci figurait la croyance que la nature suit des lois car elle contredisait l'omnipotence de Dieu. Par ironie du sort, c'est une loi physique, celle de la gravitation, qui a tué le pape Jean quelques mois plus tard lorsque le toit de son palais s'est effondré sur lui.

Il a fallu attendre le XVIIe siècle pour voir émerger la conception moderne d'une nature gouvernée par des lois. Kepler semble avoir été le premier savant à appréhender la signification moderne du terme, même s'il conservait une vision animiste des objets physiques. Galilée (1564-1642) n'a presque jamais utilisé le mot "loi" dans son oeuvre scientifique. Qu'il l'ait ou non employé, il a cependant découvert un grand nombre de lois et s'est fait l'avocat de principes essentiels tels que l'observation comme fondation de la science et la mise au jour de relations quantitatives dans les phénomènes physiques comme objectif ultime.  Mais c'est René Descartes (1596-1650) qui, le premier, a formulé explicitement et rigoureusement le concept de lois de la nature dans son acception moderne.

Selon Descartes, tous les phénomènes physiques pouvaient s'expliquer par des collisions de masses mobiles, lesquelles étaient gouvernées par trois lois, précurseurs des célèbres lois de la dynamique de Newton. Elles s'appliquaient en tout temps et en tous lieux. Ses écrits précisent explicitement que la soumission à ces lois d'impliquait en rien que ces corps mobiles fussent dotés d'intelligence.  (...)

Ce renouveau de la foi en l'existence de lois gouvernant la nature s'est accompagné de nouvelles tentatives pour réconcilier ces mêmes lois avec le concept de Dieu. (...) Grâce à Newton (1643-1727) le concept de loi scientifique s'est répandu dans son acception moderne avec ses trois lois de la dynamique et sa loi de la gravitation  qui rendaient compte des orbites de la Terre, de la lune et des planètes, et qui expliquaient des phénomènes comme les marées. 

Stephen Hawking, Y a-t-il un grand architecte dans l'Univers ?, Odile Jacob, 2011

 

Stephen Hawking, Y a-t-il un grand architecte dans l'Univers ?, Odile Jacob, 2011

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4 avril 2014 5 04 /04 /avril /2014 11:32

 

elwira-bauer-1936-4 1182732801

Affiche  antisémite allemande des années 30. Il s'agit de justifier la ségrégation sociale par la par l'évocation de traits caractérisant le Juif. Ici la représentation de la laideur physique (grimaces, forme du nez, couleur de peau, tenue du corps) reflète la laideur des traits de caractères attribués aux Juifs (stéréotypes).

 

Introduction

"Comment le peuple allemand en est-il venu à détester les Juifs au point d'entreprendre, dans la joie et en toute bonne conscience, leur extermination systématique ?" Cette question de Pierre Sorlin sera aussi la nôtre. (...) Impossible de ne pas se demander si la solution finale des nazis est l'aboutissement logique de l'antisémitisme germanique traditionnel.

L'histoire de l'Europe chrétienne est aussi celle de son antijudaïsme.(...) Les historiens depuis quelques années se demandent si l'extermination physique et systématique des Juifs par les nazis résulte d'un plan préétabli et réalisé pas à pas ou si elle est l'aboutissement d'une série de décisions sectorielles et de circonstances, sur le fond d'une intention globale, mais imprécise. Le rapport entre la Solution finale et l'antisémitisme allemand s'inscrit dans une alternative comparable. Pour certains auteurs, le chemin est direct qui conduit de Luther à Hitler. Pour d'autres en revanche l'explication du génocide doit être cherchée dans un ensemble de circonstances historiques qui dépassent le cadre particulier de l'antijudaïsme et de l'antisémitisme allemands.

(...)

Si comme l'affirme Saül Friedländer, "la persécution et l'extermination des Juifs par les nazis relèvent avant tout de la psychopathologie collective", quelle part revient, dans l'explication, aux mentalités traditionnelles et quelle autre aux délires de la société contemporaine ?

Arrivés en terre germanique, selon les archéologues, avec les légions romaines, les Juifs s'installent principalement en Rhénanie. Ils ne quitteront plus ces régions jusqu'au XXe siècle. La continuité est donc la première marque des rapports entre Juifs et allemands, à la différence de ce qui s'est passé en Europe, où, à plus d'une reprise, les communautés israélites seront brutalement expulsées, voire dépouillées et malmenées par les souverains, comme en Angleterre à la fin du XIIIe , en France au début et à la fin du XIVe, et en Espagne un siècle plus tard. (...) Mais les divers Etats et villes germaniques procèdent également à des renvois massifs. (...) Protégée théoriquement par les empereurs, selon une tradition qui remonte aux carolingiens, la minorité israélite n'est donc pas à l'abri de la persécution dans l'Allemagne médiévale. (...)

La présence permanente de judaïsme en Allemagne ne s'accompagne pas seulement de violences persistantes. Plus impressionnant peut-être est le progrès continu de la ségrégation. Dès le début, l'attachement des Juifs à leur culte, à leur communauté et à leur conviction d'être le peuple élu a valu un traitement à part que l'on peut comparer à celui que le Moyen-Âge réserve à tous les groupes étrangers. Mais les juifs ne sont pas des étrangers comme les autres. Peuple déicide et peuple de Dieu, ils sont pour l'Eglise et pour les chrétiens un objet de scandale et d'interrogation. Si l'antijudaïsme médiéval est incompréhensible hors de son contexte religieux, il ne s'explique pas non plus sans référence sociologique, puisque les Juifs survivent aux marges de la société. Ecartés du système féodal, exclus de la propriété du sol et des corporations, ils ne peuvent exercer que des occupations marginales, voire illicites: le commerce d'abord (...) puis le prêt sur gage, l'usure, la vente à tempérament. Ces activités sont tout à la fois condamnées par l'Eglise, méprisées par la population et indispensables à la société. Tolérés puisque utiles, mais soupçonnés et haïs, parce que marginaux, les Juifs nouent avec leur environnement des relations d'une extrême ambiguïté.

(...) A l'abri dans leurs ghettos, les Juifs vivent dans une communauté qui a l'apparence d'une entité nationale, mais n'est ni souveraine, ni libre. (...) Et sitôt qu'ils le quittent, ils sont soumis à un ensemble de vexations, de discriminations et d'interdits dont on apu dresser une étonnante comparaison avec les mesures de quarantaine prises par les nazis entre 1933 et 1942. Dans ce sens, la législation raciale du IIIe Reich et la réouverture des ghettos à l'Est ramènent effectivement le nazisme aux sources médiévales de l'antisémitisme allemand.

1-L'imagerie démoniaque de l'antijudaïsme médiéval

Mais l'apport essentiel du M-Age se situe probablement ailleurs. Car aussi paradoxal que cela paraisse il y a plus d'un rapport entre "l'horreur sacrée" éprouvée par les chrétiens du M-A et le mythe moderne du Juif corrupteur du sang germanique. (...) L'antisémitisme médiéval (...) a tiré de sa résistance -du juif - à la conversion, de ses activités marginales, de sa double personnalité au-dedans et au-dehors du ghetto, toute une imagerie démoniaque de meurtres rituels, de perversions sexuelles, de puissance maléfique et de complot universel que l'on retrouve à toutes les époques dans le stéréotype du Juif (...) de plus en plus considéré comme un ennemi.

(...)

L'antisémitisme médiéval est battu en brêche par les Lumières. Les hommes de l'Aufklärung (Lumières), à dire vrai, n'éprouvent pour le judaïsme pas plus de sympathie que les Encyclopédistes français. Ils voient en lui la source de l'aliénation religieuse dont ils entendent débarrasser l'humanité. Et s'ils souhaitent l'émancipation des Juifs, c'est parfois dans l'espoir de voir disparaître le judaïsme.

2- Une nation et son ennemi: le Juif

En Allemagne, l'antisémitisme apparaît sur la scène politique presque en même temps que le terme lui-même, dans les années 1880. Deux faits significatifs en témoignent. (...) Demande par pétition de l'arrêt de l'immigration juive et l'exclusion des israélites de la fonction publique. (...) Et des succès électoraux relatifs de partis et mouvements se réclamant entièrement ou accessoirement de l'antisémitisme. Toutefois la pétition restera sans suite. (...)

Au regard de l'avenir, l'essentiel tient dans la constitution d'une vision du monde qui renouvelle profondément l'antisémitisme traditionnel, tout en renforçant et en laïcisant le stéréotype de l'ennemi Juif. Des journalistes et des publicistes ne se contentent pas de considérer les Juifs comme des étrangers, ni de voir en eux les principaux responsables des malheurs du temps (débâcle bancaire de 1873 par exemple). La destinée manifeste qu'ils assignent à la supériorité germanique, ne saurait se réaliser dans une Allemagne enjuivée. Avec une telle perspective, le lien n'allait pas tarder à se créer entre le nationalisme pangermanique, l'antisémitisme, la doctrine raciale et le darwinisme social. C'est chose faite, ou presque, dès 1880 avec l'ouvrage d'Eugen Dühring ("La question juive comme question de race de moeurs et de culture"). Dès avant la fin du siècle, l'antisémitisme racial, qui permet d'établir de façon "scientifique" l'infériorité et la nocivité juives, est ainsi établi en tant que doctrine.

Il pénètre de puissantes organisations corporatives ou patriotiques telle la Ligue germanique et il circule sous forme de brochures et de journaux populaires.

(...)nazi propaganda eternal jew

L'Union sacrée de la Première guerre mondiale mais plus encore la République proclamée en 1918 parachèvent leur intégration. (...) Un grand industriel Juif, Walter Rathenau, est même nommé ministre des Réparations, puis des Affaires étrangères. Il occupe donc les postes les plus sensibles pour le sentiment national et l'honneur du pays, alors que le Reich affronte la difficile exécution du traité de Versailles. Sa nomination a provoqué un choc. Son assassinat en 1922, est un symbole. La perspective de voir le Juif sortir du ghetto provoque un renouveau d'antisémitisme. La République n'est-elle pas née de la défaite ? Et celle-ci n'est-elle pas le fruit de la révolution ? Et la révolution n'est-elle pas l'affaire des Juifs, si nombreux dans l'extrême gauche ? Emotionnellement et doctrinalement l'antisémitisme racial, dont on a vu qu'il a déjà bien infiltré la droite patriotique et conservatrice sous le régime impérial, investit la totalité des mouvements et des partis hostiles à la révolution, à la république ou tout simplement aux partis démocratiques. Tous les maux du présent, du Diktat de Versailles à la grande dépression des années trente, en passant par l'hyperinflation de 1923 trouvent une explication dans le complot de la juiverie internationale, si clairement dévoilé par les Protocoles des Sages de Sion. Ce faux antisémite ne décrit-il pas, en effet, la conspiration des Juifs pour s'emparer du contrôle du monde ? Une fois de plus, le stéréotype  du Juif, ennemi, paria, bacille, fonctionne comme la figure du mal absolu, la représentation concrète de la menace mortelle qui pèse sur la race nordique. Et, cette fois le Juif ne peut plus espérer échapper à sa condition, puisqu'il s'agit non plus de foi, de baptême, donc de conversion , mais de race, scientifiquement définie, et des lois éternelles de la nature.

Encore faut-il, pour imposer l'évidence de l'histoire, trouver les mots qui pénètrent au plus profond du désespoir et de la haine collective. Seul un homme au psychime profondément perturbé semble capable d'entre ainsi en phase avec son époque.Il sera alors, comme Hitler aimait à le dire de lui-même dans les années avant la prise de pouvoir, le tabour de la révolution nationale.

"La nation allemande, écrit Jacques Madaule, est donc poussée à l'antisémitisme par une sorte de dynamique propre qui ne se retrouve pas au même degré ailleurs".

L'antisémitisme allemand ouvre la voie à la solution finale. Non seulement par sa virulence, mais par sa durée historique et, à l'époque contemporaine, par sa diffusion dans toute la société. Encore fallait-il, pour passer à l'acte, du moins dans le cas des individus qui ne souffraient pas d'une névrose antijuive, que le mythe racial se révèle plus fort que les normes du comportement social individuel traditionnel. La profondeur de la crise morale et nationaliste traversée après 1918 par l'Allemagne l'a permis.

Favez Jean-Claude, L'Allemagne de Hitler par la revue Histoire, Ed Seuil Histoire, 1991

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19 mars 2014 3 19 /03 /mars /2014 19:07

"Comme un miroir"

 

Le coup géopolitique de Poutine illumine le passé depuis la guerre froide et inspire le présent.

Nous nous regardons tous en Crimée. « Comme un miroir, la situation en Ukraine reflète ce qui est en train de se passer et ce qui s'est passé dans le monde dans les dernières décennies. » C'est ce que déclara Poutine dans le discours solennel de l'annexion dans le salon Saint Georges du Kremlin. Le coup, perpétré avec une rapidité prodigieuse pour « corriger une erreur de l'histoire », est l'évènement géopolitique le plus important depuis la dissolution de l'Union Soviétique, réplique à la fois de ce mouvement sismique qui en termina avec le monde bipolaire et l'essai de correction de cette catastrophe que fut pour Poutine l'effondrement soviétique.

Le miroir illumine une époque caractérisée selon la vision du président russe par l'instabilité du monde et la dégradation des institutions internationales, exactement le contraire du nouvel ordre mondial promis par Bush père à la fin de la guerre froide. Le maître du Kremlin n'a aucun doute sur ceux qui sont les responsables du désordre: « nos partenaires occidentaux, menés par les Etats-Unis ». La Russie observe voit le dénouement de la guerre froide de la même manière que l'Allemagne de Weimar voyait la Paix de Versailles, y compris l'idée de coup de couteau dans le dos. Selon sa vision, Washington et ses alliés ont utilisé la légalité internationale comme cela les arrangeait, « forçant les résolutions des organismes internationaux et s'ils n'y parvenaient pas en ignorant le Conseil de Sécurité. »

Le bilan présenté par Poutine est lourd: le bombardement de Belgrade, l'Afghanistan, l'Irak et la Libye; les révolutions orange (Ukraine, 2004) et les printemps arabes, qu'il suppose avoir été contrôlées par les occidentaux avec pour effets « chaos, explosions de violence et soulèvements en série, au lieu de la démocratie et liberté. »; et, surtout, la politique de faits consommés et mensonges contre la Russie depuis 1989. Et même au delà: depuis le XVIIIe siècle les russes ont été toujours harcelés pour leur « position indépendante » et « parce que nous appelons les choses par leur nom et que nous ne sommes pas hypocrites ». Le miroir sert aussi au présent. Poutine remercia l'appui de la Chine et de l'Inde, les uniques pays manifestant de la sympathie à l'égard de Moscou. Pékin a recherché l'équilibre, peut-être la position d'arbitre, avec son abstention au Conseil de Sécurité. A New-Delhi il y a quelque chose qui conduit à réinstaurer la vieille alliance maintenue avec la Russie durant la guerre froide.

Pékin a des doutes devant le miroir. La Crimée est un territoire revendiqué au même titre que Taiwan, mais le droit à l'autodétermination rejoint avec la question Tibétaine ou du Wingjian en même temps que la préservation des frontières, violées en Ukraine, sont des principes sacrés de la souveraineté nationale que la Chine défend. Il est certain que, finalement, le miroir se brouille pour les dirigeants chinois à Maidan, avec les reflets de la révolte de Tiananmen, quand le peuple voulut le pouvoir dans une République populaire comme la Chine. Et cela Moscou et Pékin le voient avec les mêmes yeux.

 

El Pais, Lluis Bassets, 19 mars 2014.

 

 

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17 mars 2014 1 17 /03 /mars /2014 12:19

1er mai 2011 Femmes 1859-4b61a

 

Les comparatifs de salaires entre hommes et femmes font, globalement, ressortir un avantage en faveur des hommes. Il faut toutefois noter de sensibles contradictions entre ces comparatifs, autant quantitatives que qualitatives, et surtout, il convient de s'interroger sur les méthodes utilisées. Elles ignorent tout ou partie des points suivants :

  • le temps partiel est beaucoup plus pratiqué par les femmes, d'où un revenu féminin global moindre ; à cet égard, il conviendrait de baser les comparatifs sur les salaires horaires, et non mensuels ; le graphique ci-dessous montre que, tous secteurs confondus, les hommes occupent 57% des emplois ;

 

  

 

  • les hommes sont répartis sur beaucoup plus de corps de métiers que les femmes, ou, inversement, de nombreuses catégories sont à forte dominante masculine (en 2013, 92% des ouvriers sont des hommes) ; le graphique ci-dessus montre que 11 secteurs d'activité sur 17 (soit 65%) sont majoritairement masculins (hommes présents à plus de 50%) ; il montre aussi que, dans le secteur le plus féminisé (éducation, santé, action sociale), les hommes représentent 24%, alors que dans le secteur le plus masculinisé (construction), les femmes ne représentent que 7% ;

  • la population active est particulièrement contrastée entre les sexes : en 2011, 61,8% des hommes y sont présents, contre 51,7% pour les femmes [2]. Cet écart de 19,5% entre les représentativités des deux sexes, pourtant notable, n'est pas intégré dans les habituels comparatifs de salaires hommes-femmes. En ce troisième millénaire déjà bien entamé, peu de personnes s'interrogent sur cette disparité, tant on considère encore normal que l'homme soit un pourvoyeur ;

  • l'INSEE le confirme : les écarts de salaires dépendent en fait plus des catégories socioprofessionnelles que du sexe[3] ; il est même certaines catégories "réservées" aux hommes (éboueur, égoutier, voirie...) ; L'INSEE ajoute  : les femmes sont plus présentes dans les professions où les salaires sont plus faibles.

  • les hommes assument les métiers les plus difficiles, qui ne sont pas nécessairement les plus physiques ; il s'agit de métiers pénibles, rudes, salissants, dangereux, voire mortels : construction, voirie, égouts, garagiste, pêche en mer, extraction de minerais/pétrole/gaz, entretien de lignes à haute tension... Ces métiers, indispensables à la société, sont masculins, et à une écrasante majorité. Pourquoi cette discrimination ? Et pourquoi est-elle totalement ignorée dans les débats sur la parité ?

  • les hommes assument aussi des métiers à niveau de risque élevé : chirurgie, pilote de ligne ou de navire, pompier, sécurité... ;

  • quant à la sécurité du travail, l'INSEE relève que à durée d'exposition égale, les hommes ont deux fois plus d'accidents du travail que les femmes [4] ;

  • plus grave encore, l'Agence Nationale pour l'Amélioration des Conditions de Travail relève que les hommes sont 15 fois plus touchés que les femmes par les accidents mortels d’origine professionnelle : pour les hommes, le taux de mortalité pour 100.000 salariés s’établit à 6,0, pour les femmes, il est de 0,4 pour 100 000 [5]; 

  • selon l'observatoire des inégalités, en 2010, les hommes consacrent 47,8% de plus de temps professionnel que les femmes : 3h55 pour les hommes contre 2h39 pour les femmes, moyennes par jour, y compris samedi, dimanche et vacances) [6] ; ici, la persistance du maintien de l'homme dans un rôle de pourvoyeur est particulièrement flagrante ;

  • l'entreprenariat s'avère peu prisé par les femmes : en 2010, 28% des entreprises ont été créées par des femmes. Elles ont pourtant accès à des aides financières réservées aux femmes tel que le FGIF. Elles sont également 34,2% à être aidées par leur conjoint, contre 16,9% d'hommes aidés par leur conjointe. Enfin, elles y investissent moins d'argent que les hommes, ce qui est souvent un frein à la progression de l'entreprise [7]. Pourtant, s'il est un domaine égalitaire par excellence, c'est bien la création d'entreprise : partir d'une idée, y investir du temps, concevoir des produits ou services, développer une clientèle, administrer, développer... et tout ceci sans le "barrage fait par les hommes", si souvent invoqué pour expliquer les différences de salaire ou de carrière ;

  • la notion d'homme au foyer est quasi absente de la société : en 2004, 0,5% d'hommes au foyer contre 14,5% pour les femmes ou, autrement dit, 97% des personnes au foyer sont des femmes. Il convient donc de considérer cette très forte disparité, qui défavorise les hommes toujours autant emprisonnés dans leur rôle de pourvoyeur, et dans le principe que la place de l'homme est hors de la maison, et que son devoir est de tout faire, et tout supporter, pour y ramener son salaire ;

  • les congés parentaux sont un exemple caractéristique des disparités ; hommes et femmes y cotisent paritairement, mais les prestations ne sont absolument pas paritaires

    • ni en durée et montant : 11 à 18 jours calendaires pour les hommes, de 16 à 46 semaines calendaires pour les femmes, soit de 10 à 18 fois plus que pour les hommes ;

    • ni en proportion : 97% des congés parentaux sont aujourd'hui pris par les femmes déclare en 2013 la ministre des Droits des femmes [8] ;

  • enfin, ces contraintes pesant sur les hommes sont probablement un facteur contribuant à une cruelle disparité : la longévité moindre des hommes ; en 2010, 78,1 ans pour les hommes et 84,8 ans pour les femmes [9].

A la lecture de ces informations, le lecteur pourra s'interroger : les disparités sont elles fidèlement et objectivement présentées dans les médias ? La situation est-elle - globalement - à l'avantage des hommes, comme les médias en question semblent vouloir le laisser penser ?

Ces faits montrent en outre qu'il serait juste de rééquilibrer ce traditionnel débat de chiffres en y intégrant des aspects comme l'égalité face au choix socioprofessionnel, face à la répartition du temps famille-travail, face aux congés parentaux, face aux aides familiales, face au passage à temps partiel, face à la durée de vie... aspects qui sont nettement à l'avantage des femmes.


Remarque complémentaire

 - 83% des SDF français sont des hommes selon l'INSEE

 

Sources :

  1. INSEE - Taux de féminisation par secteur d'activité

  2. INSEE - Population active et taux d'activité selon le sexe et l'âge

  3. INSEE - Peu d'écart de salaire entre hommes et femmes

  4. INSEE - Les accidents du travail

  5. ANACT - Les salariés hommes principales victimes des accidents mortels

  6. Observatoire des inégalités - Durée moyenne des activités au cours d'une journée

  7. Ministère des Affaires sociales et de la santé- L'entreprenariat féminin

  8. Ministre des Droits des femmes - Congé parental

  9. INSEE - Espérance de vie 

 


 

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15 mars 2014 6 15 /03 /mars /2014 13:08

 document avec lien pour site html m44b306b0   

Mais c'est Aristarque de Samos (vers 310-230 av J-C) l'un des derniers savants ioniens, qui a révolutionné notre conception du monde en avançant le premier que nous ne sommes que des habitants ordinaires de l'Univers et non des être spéciaux qui vivraient en son centre. Un seul de ses caculs est parvenu jusqu'à nous, une analyse géométrique complexe réalisée à partir d'observations minutieuses qui lui ont permis de déterminer la taille de l'ombre de portée de la Terre pendant une éclipse de Lune.

methode-aristarqueIl en a conclu que le soleil devait être beaucoup plus grand que la Terre. Considérant sans doute que les petits objets doivent tourner autour des gros et non l'inverse, il a été le premier à soutenir que la Terre, loin d'être le centre de notre système planétaire, n'est qu'une des planètes orbitant autour du soleil, beaucoup plus imposant. Même s'il y avait encore un pas pour passer de cette idée à celle d'un soleil qui n'aurait quant à lui non plus rien de particulier, cela n'a pas empêché Aristarque de suspecter que les autres étoiles qui brillaient dans la nuit n'étaient en fait que des soleils lointains.

 

 

Stephen Hawking, Y a-t-il un grand architecte dans l'Univers ? , Odile Jacob, 2011

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4 mars 2014 2 04 /03 /mars /2014 16:31

 GlobeBehaim

On savait dès l'Antiquité que la Terre était ronde.

Au début de la civilisation grecque certains l'imaginaient comme un disque plat posé sur l'eau dont les mouvements expliqueraient les tremblements de terre. Anaximandre (610-547 av J-C) supposa une terre cylindrique. C'est l'école pythagoricienne et surtout le philosophe Parménide qui affirmèrent au Vè siècle av J-C la sphéricité de la Terre. Platon, Aristote et la plupart des grands philosophes grecs adoptèrent cette représentation sphérique du monde qui devint le postulat de base de toute recherche scientifique.

Avec la chute de l'Empire romain et les grandes invasions, l'étude des sciences recula.  Les penseurs chrétiens ne donnèrent plus de crédit aux "théories païennes" et les premiers d'entre eux revinrent à une représentation plate. (...) Cependant la plupart des théologiens du haut Moyen Âge continuent à privilégier la vision sphérique de notre planète. Isidore de Séville (560-636) compare la Terre à une balle. (...) La conquête musulmane à partir du VIIe siècle ne remet pas cela en cause. (...) Au XIII siècle sous l'impulsion du dominicain Albert le Grand, maître de St Thomas d'Aquin, ou du franciscain anglais Roger Bacon, les universités occidentales s'ouvrent aux sciences arabes et grecques ainsi qu'aux philosophes Aristote et Platon. L'image de la Terre comme sphère n'est plus sérieusement remise en cause. Dès le XIV siècle l'intuition et le désir de pouvoir en faire le tour mûrit. Le livre des Merveilles du monde écrit entre 1355 et 1357 par l'explorateur Jean de Mandeville après un voyage de 34 ans en Extrême-Orient laissait entendre la possibilité d'une circumnavigation.

Dès cette époque des missions dominicaines et fransciscaines atteignent l'Orient, des marchands l'Afrique, et Marco Polo la Chine en 1275. Le temps des découvertes débute. Le premier globe terrestre est réalisé par le navigateur allemand Martin Behaim en 1491 (voir photo ci-dessus). Vasco de Gama, Christophe Colomb et Magellan n'ont plus qu'à lancer l'exploration de la Terre et à en faire le tour.

                                            Olivier Tosseri, 150 idées reçues sur l'Histoire

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28 février 2014 5 28 /02 /février /2014 11:28

En fait depuis le rétablissement provisoire de la monarchie en 1815, le nom de "gauche" n'a plus jamais cessé de couvrir, pour l'essentiel, le simple refus philosophique (et psychologique) de toute tentation "conservatrice" ou "réactionnaire" ainsi que l'exhortation perpétuelle des individus et des peuples à faire "table rase" de leur encombrant passé (ou à défaut, à ne pas devoir s'en souvenir que sur le mode religieux de la "repentance").

Or il est évident que les premiers  théoriciens socialistes partageaient bien avec les libéraux un même refus révolutionnaire de l'ancien monde des castes et des aristocraties - celui des communautés agraires traditionnelles fondées sur l'inégalité de naissance, la famille patriarcale et la domination d'un pouvoir guerrier et religieux - il est non moins évident, en revanche qu'ils n'entendaient nullement remettre en question le fait communautaire lui-même.(...)

Il faut dire que pour les libéraux, il ne peut effectivement exister de processus d'émancipation véritable que sous la condition d'une rupture intégrale (sur le modèle de la révolte de l'adolescent) avec l'ensemble des contraintes et des obligations communautaires traditionnelles auxquelles l'existence de chaque être humain se trouve initialement soumise. Pour un libéral toujours soucieux, par définition, de garantir à chacun la possibilité de "jouir paisiblement de son indépendance privée" (Benjamin Constant), il va en effet de soi que toutes les formes d'appartenance ou d'identité qui n'ont pas été librement choisies par un sujet sont potentiellement oppressives et "discriminantes". C'est la raison pour laquelle aucun libéral authentique ne pourra jamais se reconnaître d'autre "patrie" que celle désormais constituée par le marché mondial sans frontière. (...) Dans la doctrine libérale, le marché se présente toujours, en effet, comme la seule instance de "socialisation" qui soit intégralement compatible avec la liberté individuelle dans la mesure où il n'exige, de la part des individus qu'il met en relation, aucun engagement moral ou affectif particulier ni, à fortiori, aucun contre-don. Or c'est justement cette représentation fantasmatique d'un sujet supposé n'accéder à la liberté authentique qu'à partir du moment où s'étant définitivement arraché à toutes ses "racines" et à toutes ses déterminations originaires il va pouvoir enfin travailler à se reconstruire "librement" et dans son intégralité.

Jean-Claude Michéa, Les mystères de la gauche

 

Questions

1- Qu'est-ce qui pour l'auteur est le fondement de l'appartenance à la gauche ?

2- Au XIXè siècle montrer qu'être de gauche signifie forcément être libéral.

3- En quoi s'opposer au libéralisme aujourd'hui apparaît-il comme réactionnaire ?

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19 février 2014 3 19 /02 /février /2014 20:10

 

 

Gauche et droite sont des sensibilités politiques, c’est-à-dire des tendances non raisonnées, des ensembles de préoccupations instinctives qui dépendent du sujet considéré.

Imaginons un axe allant de l’extrême-droite à l’extrême gauche. De tout temps on trouvera :

  • à l’extrême-droite : les réactionnaires, soit ceux qui pensent que c’était mieux avant, qu’il faut renverser l’ordre politique existant et revenir au statu quo ante, généralement un passé idéalisé.

  • à droite : les conservateurs, soit ceux qui pensent que les choses sont plutôt bien telles qu’elles sont, et que si l’on change ce sera pire

  • à gauche : les progressistes, soit ceux qui pensent que les choses peuvent être améliorées et que si l’on change, cela sera mieux

  • à l’extrême gauche : les révolutionnaires, soit ceux qui pensent que le système est entièrement mauvais, que ce qu’il y avait avant était aussi mauvais ou pire, et qu’il faut instaurer un nouveau modèle idéal.

Dans cet ensemble, on constate aisément que les extrêmes partagent leur mentalité du bouleversement, alors que progressistes et conservateurs se retrouvent dans leur adhésion au système en place. Dans le groupe des extrêmes on trouve toujours une minorité d’individus, la majorité étant constituée de ceux qui adhèrent globalement au système en place.

Rien, dans cette répartition suivant la sensibilité, n’est dû à une réflexion. Personne n’est de droite ou de gauche pour des raisons intellectuelles, puisqu’il n’est pas question d’idées. Droite et gauche sont des réalités sociologiques, voire anthropologiques, mais certainement pas rationnelles.

Le fait qu’il s’agisse de sensibilités, et qu’elles soient ce qu’on en a dit, distribue logiquement la population comme suit :

  • À droite une population globalement plus âgée/plus installée économiquement, qui a tout intérêt à la préservation du système et voit d’un œil inquiet tout changement éventuel : la droite se caractérise par la tendance au pessimisme ; c’est le camp qui porte le discours décliniste et dont les valeurs sont l’ordre, l’autorité, la tradition, le respect des institutions.

  • À gauche une population globalement plus jeune/moins installée économiquement, qui pense gagner à des réformes et porte un regard critique sur ce qui se fait traditionnellement : de tendance optimiste, la gauche porte le discours idéaliste, qui est contestataire et se définit principalement en opposition avec ce que défendent les conservateurs.

  • Aux extrêmes on trouve nécessairement des gens qui auraient beaucoup à gagner d’un changement brutal de paradigme, mais ce qui les distribue est l’origine de leur situation d’exclus du système : ceux qui appartenaient jadis à une population favorisée et ont été déclassés seront d’extrême-droite, nostalgiques d’une période plus faste pour eux (exemple : les nobles ruinés déchus d’Ancien Régime au XIXe siècle), alors que ceux qui appartiennent à une population défavorisée d’origine nouvelle seront d’extrême-gauche (exemple : les ouvriers de l’industrie du XIXe siècle).

Étant des sensibilités, qui se distribuent dans une population selon la loi des grands nombres, n’importe quelle population suffisamment importante se verra toujours composée à peu près moitié/moitié de gens de gauche et de droite. On ne voit, à l’échelle d’un Etat, jamais une population à 95% de gauche ou de droite.

Et lorsque l’équilibre moitié-moitié est ponctuellement rompu, que ce soit par un boom démographique ou une crise économique cela entraîne toujours une révolution : 1968, avec une génération du baby boom atteignant l’âge adulte, 1789, avec une population française très jeune, 2011, avec le printemps arabe. Pourquoi ? Parce qu’alors le lent écoulement des idées qui existe toujours de gauche à droite est bouleversé.

 

La variation de sens

 

Dans n’importe quel système politique, les idées naissent à l’extrême gauche et meurent à l’extrême droite. De la façon suivante :

  • À l’extrême-gauche sont ceux qui, contestant absolument l’ordre existant ou ce qui a précédé, sont ouverts aux idées nouvelles de changement le plus radical ; c’est donc ici qu’apparaissent, systématiquement, les idées nouvelles dans leur formulation la plus violente.

  • À gauche sont ceux qui cherchent à améliorer l’existant, mais ne sont guère enclins à la violence ; ils s’inspireront souvent de ce que la critique extrémiste peut avoir de plus aiguisé, mais le transposeront pour proposer des réformes plus mesurées, allant dans le même sens.

  • À droite sont ceux qui veulent maintenir le statu quo. Ils cherchent donc à conserver ce qui existe déjà, le défendent comme bon en soi, et répugnent aux changements d’un système qui leur semble d’expérience avoir fait preuve d’efficacité.

  • À l’extrême-droite sont ceux qui regrettent le temps passé et cet ordre précédent que les conservateurs de l’époque n’ont pas réussi à maintenir.

Cette structure favorise le déplacement des idées. En effet les progressistes proposant des réformes années après années, finissent toujours par les imposer à la droite, par faibles doses successives, en portant régulièrement des réformes très mesurées, sur un mode de compromis entre réforme et tradition.

Or au fil du temps, une ou deux générations, il advient que l’ordre établi est un ordre qui a été progressivement changé. Mais la mentalité conservatrice, elle, demeure, et les nouveaux conservateurs seront des gens qui défendront le nouvel ordre établi. À l’extrême droite seront repoussés ceux qui sont encore attachés à l’ancien ordre.

Semblablement, à gauche, les nouveaux progressistes sont des gens qui considèrent comme ordre établi ce qui fut en réalité un ordre instauré suivant les idées des progressistes quelques décennies en arrière. Et en progressistes, ils contestent cet ordre établi et veulent le réformer, le modifier ; ils contestent même directement ce que les progressistes de jadis défendaient. Et pour cela, ils adoptent des idées plus radicales, celles de l’extrême-gauche de deux décennies plus tôt.

L’extrême-gauche, elle, en vient à inventer de nouvelles formes de contestation, puisqu’elle est composée d’individus qui se sentent exclus par le système et veulent en changer.

Un bon exemple de variation de sens en France est celui du régime politique. On voit bien le déplacement de gauche à droite des idées politiques. Certains analystes disent aujourd’hui, à tort, que la France est « gauchisée » parce que la pensée socialiste y a profondément pénétré. C’est une erreur : c’est assimiler « gauche » à « socialisme ». Or, répétons-le, les idées naissent toujours à gauche, mais ne sont pas « de droite » ou « de gauche ».

Dans la même veine, songeons au libéralisme : c’étaient les idées des révolutionnaires, de gauche, de 1789. En 1840, le libéralisme était devenu une valeur de droite, défendue par des individus comme Adolphe Thiers. En 1910, elle était une valeur exclusivement de droite, la gauche étant devenue socialiste. Dans les années 1980, il n’y avait plus guère que l’extrême-droite pour se dire reaganienne, et Jacques Chirac, lorsqu’il avait des positions libérales, était considéré comme très à droite. Et aujourd’hui, politiquement, le libéralisme est mort en France. Il a disparu à l’extrême-droite, remplacé par le socialisme nationaliste aujourd’hui porté par Marine Le Pen.

Ce phénomène de variation n’est pas propre à la France, il s’observe partout puisqu’il ne dépend pas de la pénétration de telle ou telle idéologie mais relève de la psychologie sociale humaine. Ainsi les membres du Tea Party aujourd’hui aux États-Unis sont-ils considéré très à droite, voire d’extrême-droite, alors que les idées qu’ils défendent sont celles des Founding fathers.

À l’autre bout du monde, le pouvoir de Vladimir Poutine en Russie est plutôt un pouvoir très droitier, ce qui ne l’empêche pas de vivre dans la nostalgie de l’URSS. Contradiction ? Seulement si l’on commet l’erreur de juger que le communisme est de gauche, alors que c’est une idéologie. Après soixante-dix ans de communisme et un changement de régime, avoir la nostalgie de l’Union soviétique n’est plus une pensée révolutionnaire, mais réactionnaire.

Notons cependant que si le sens de la variation gauche-droite est systématique et univoque sur la longue durée, il n’est pas exempt de ralentissements voire de ponctuels retours en arrière. C’est ainsi que doivent être interprétées les arrivées au pouvoir de Ronald Reagan et Margaret Thatcher au début des années 1980 : tous deux défendaient un modèle libéral qui était dépassé, n’était même plus vraiment en vogue chez les conservateurs de leur temps et les rapprochait plus des réactionnaires, dont ils ne se différenciaient que par une mentalité réformatrice, et non révolutionnaire. L’un comme l’autre purent réussir à faire triompher leurs idées à cause des circonstances : l’héritage économique désastreux de Carter et plus largement d’étatisme pour l’un, la paralysie syndicale et l’état catastrophique des finances de l’État pour l’autre. Mais inversement, depuis, la pente générale de l’étatisme a plutôt repris, en particulier aux USA.

Prenons donc note ici de cette règle : le mouvement général des idées de gauche à droite n’empêche pas de ponctuels triomphes des idées conservatrices, voire réactionnaires.

 

Que deviennent les idées qui meurent à droite ? Elles réapparaissent à gauche !

 

Par le mécanisme que nous avons expliqué plus haut, avec l’oubli des générations, il s’avère qu’une idée qui a disparu du paysage politique est considérée par les acteurs politiques comme n’ayant jamais existé, et peut donc ressurgir comme une nouveauté chez les plus gros contestataires : l’extrême-gauche.

Prenons l’exemple du régionalisme.

En 1792, le régionalisme était de droite. On l’appelait fédéralisme : il voulait que le nouveau système républicain respectât les particularismes locaux (langues, droits, modes de gouvernement) et s’opposait au jacobinisme centralisateur, idée de gauche.

Un siècle plus tard, au début du XXe siècle, le régionalisme était une idée d’extrême-droite, défendue par Maurras et le nationalisme intégral, alors que la droite avait admis la centralisation et ne protestait guère contre la colonisation parisienne du pays orchestrée par l’école publique de Ferry, la méthode étant l’éradication des langues locales à coups de règles sur les doigts des petits enfants.

Ce régionalisme est mort politiquement avec Maurras, dans les années 1940.

Et une génération plus tard, autour de Mai 68, on vit reparaître, à l’extrême-gauche, le souci régionaliste : apprendre le breton en Bretagne, l’Occitan à Toulouse… Faire revivre le passé local en attitude révolutionnaire contre la centralisation du gouvernement, qui était devenu la tradition politique, et donc défendue par… la droite. C’est donc la gauche, en 1982, avec les lois Deferre, qui amorça la décentralisation, aspect administratif du régionalisme.

On pourrait multiplier les exemples : le drapeau tricolore qui n’apparaît plus massivement que dans les rassemblements de droite alors que la droite de 1815 n’en voulait pas, la République laïque devenue un slogan de Marine Le Pen après avoir traumatisé la droite et l’extrême-droite en 1905, la décolonisation qui fut prônée par la gauche dans les années 1950-1960 alors que c’était elle, là encore avec les grands discours de Ferry, qui avait théorisé et mis en œuvre la colonisation !

 

Le positionnement des idées et leur coloration par la sensibilité politique

 

Ce sujet de la colonisation est une bonne transition pour parler à présent. du nationalisme et de son évolution sur l’échiquier politique. Il faut en effet remarquer une chose : si les idées ne sont certes ni de droite ni de gauche, le clivage politique étant une question de préoccupations, de mentalités, de sensibilités et non d’idées, néanmoins lesdites idées changent de coloration, de tonalité en fonction de leur placement sur l’échiquier politique.

La colonisation, donc. Nous disions qu’elle fut portée idéologiquement par la gauche et Jules Ferry. Se souvient-on de ce que la droite en disait alors ? Le mot de Déroulède, nationaliste droitier, est éloquent : « J’ai perdu deux sœurs [NdA : l’Alsace et la Lorraine], et vous m’offrez vingt domestiques ». La droite, plus tard, devait finir par défendre son empire colonial quand il était sur le point de disparaître, et elle en porte encore aujourd’hui une forme de nostalgie. Mais c’est à cause de la circulation des idées puisqu’à l’origine, elle y était opposée.

Le nationalisme, comme le reste, a voyagé politiquement de la gauche à la droite : né dans la tête des révolutionnaires pour lesquels elle venait remplacer la figure du Roi (on crierait donc non plus « vive le Roi » mais « vive la Nation », on remplaça le crime de lèse-majesté par le crime de lèse-nation, etc.), le nationalisme resta à gauche jusqu’en 1870. La perte de l’Alsace-Lorraine causa un traumatisme qui le fit pénétrer à droite, et l’on assista alors, durant deux décennies, à une unanimité nationaliste en France : gauche et droite étaient également nationaliste. Mais elles ne l’étaient pas pour autant identiquement.

Le débat entre Déroulède et Ferry, entre droite revancharde et gauche colonialiste, est remarquable car il est celui du nationalisme de gauche et du nationalisme de droite. Pour le nationalisme de gauche, la nation porte une supériorité substantielle, qu’elle doit porter au monde : cela donne les guerres révolutionnaires et la colonisation. Pour le nationalisme de droite la nation porte une supériorité substantielle qu’elle doit protéger du monde : cela donne de la xénophobie, la fermeture des frontières, le souhait de l’autarcie et l’obsession de l’intégrité territoriale. Les deux portent bien ce qui caractérise le nationalisme : la passion quasi-religieuse pour la Nation comme entité transcendante. Mais là où l’optimisme gauchiste pousse à l’expansion, à la conquête, le pessimisme droitier incline au repli et à la crispation.

Par la suite, à partir de 1889 et du lancement de la IIe Internationale, l’internationalisme grossit à l’extrême-gauche et repoussa progressivement le nationalisme hors de la gauche, de telle façon qu’après 1920 il n’y avait plus guère de nationalisme qu’à droite.

Après la seconde guerre mondiale, le nationalisme fut repoussé à l’extrême-droite par l’arrivée à droite de… l’internationalisme. Mais un internationalisme de droite, donc coloré différemment : pas un internationalisme porté sur le mouvement global, par-delà les frontières, comme celui de la gauche, mais un internationalisme inquiet, angoissé par l’apparition de deux géants, l’URSS et les États-Unis. L’internationalisme de droite fut donc l’européanisme, la volonté de se rassembler entre européens afin de faire face à la menace du monde sur la civilisation européenne.

Notons qu’ensuite reparut, comme nous l’avons dit, à l’extrême-gauche le régionalisme, qui est aujourd’hui plus largement de gauche, avec les locavores et tous les mouvements du genre, qui prêchent le local comme alternative à la mondialisation. Aujourd’hui, on sent même une ébauche de disparition du nationalisme souverainiste à l’extrême-droite au profit d’un décalage de l’européanisme de la droite vers les réactionnaires : on en trouve des éléments, même si ce n’est qu’embryonnaire, dans la dénonciation du complot « Eurabia », qui voudrait que les élites européennes se sont entendues pour remplacer les peuples d’Europe par une immigration arabo-musulmane et que tous les « populismes » d’Europe s’unissent pour protéger la civilisation européenne en danger ; s’annonce, en fait, l’internationalisme d’extrême-droite.

 

Et le libéralisme, dans tout ça ?

 

Tandis qu’en Angleterre ou aux USA le libéralisme a triomphé temporairement en Thatcher et Reagan à la faveur de circonstances économiques difficiles alors qu’il était sur le point de devenir une idée exclusivement réactionnaire, en France ce coche a été manqué.

Comme nous l’avons dit, il a effectivement basculé puis disparu à l’extrême-droite dans les années 1980-90. Aujourd’hui il n’est tout simplement plus représenté politiquement en France. Ceux qui se présentent comme « libéraux » sur l’échiquier politique français ne défendent en fait que certaines libertés, pour certaines personnes. Le libéralisme authentique, qui défend la liberté en soi, ne serait-ce que la liberté économique en général et pas pour certains domaines, n’a plus un seul député. Il est politiquement mort.

Comment alors se positionner ?

Il y a deux possibilités pour les libéraux actuellement : soit on considère que le libéralisme survivant en France est un libéralisme purement rationnel – ce qui est probable – soit entièrement libéré des sensibilités politiques, et alors le qualificatif d’extrême-centre parfois employé reflète bien la réalité : les libéraux se tiendraient en équilibre au milieu de l’échiquier politique, à la fois conservateurs et progressistes, défendant la liberté existante et combattant pour la liberté non actuelle.

L’ennui de cette approche, c’est que les gens convaincus par un argumentaire purement rationnel sont très rares, et ne feront jamais une majorité, ni même une forte minorité. Ils sont condamnés à rester en marge du jeu politique, et donc à être inexistants.

Soit on considère le libéralisme autrement, intégré au jeu politique, suivant le schéma droite-gauche que nous avons décrit, et ne le voyant nulle part après qu’il ait disparu à l’extrême-droite, nous devons donc considérer que le libéralisme est désormais situé là où apparaissent les idées : à l’extrême-gauche.

Cette approche-ci est résolument tournée vers l’action politique, en ce sens qu’elle désigne les catégories de population auxquelles les libéraux doivent s’adresser, et qui ne seraient peut-être pas les catégories de population qu’intuitivement ils auraient visé : les exclus (les vrais, pas les assistés mais les travailleurs pauvres) et les jeunes. Cela peut paraître improbable tant il semble que viser ces publics est contre-intuitif, mais il faut se souvenir que les libéraux de 1789 n’ont pas fait la révolution en restant entre bourgeois éduqués et informés imprégnés des œuvres des Lumières,  mais en faisant naître, contre les privilégiés, la conscience de classe du Tiers État.

 

Wenceslas Balyre 5 avril 2013 , http://www.contrepoints.org/ 

 

Wenceslas Balyre prépare son doctorat en histoire du droit, des institutions et des idées politiques. Historien et juriste, il s’intéresse particulièrement à la théorie du droit naturel, de l’École de Salamanque à l’École autrichienne, et à la place de la liberté dans l’histoire des civilisations.

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17 février 2014 1 17 /02 /février /2014 11:57

 femme-travail

Deux facteurs essentiels ont contribué à la promotion des femmes dans le monde du travail.

D'une part leur accès de plus en plus général aux études supérieures. Aux Etats-Unis, entre 2006 et 2008, 32.7% des femmes de la catégorie 25-34 ans possédaient déjà un niveau de diplôme égal ou supérieur au baccalauréat, contre seulement 25.8% des hommes. Dans tous les pays développés, les femmes sont aujourd'hui majoritaires dans les universités: 58.9% des diplômes délivrés par les universités européennes le sont à des femmes. 

L'autre facteur, sans doute plus important, a été le passage d'une société industrielle dominée par l'automobile et le bâtiment à une économie de services , qui donne de moins en moins d'importance à la force physique. On est en d'autres termes passés d'une société où les emplois industriels occupaient une place prépondérante à une société où la première place revient au secteur tertiaire et aux emplois de service (secrétariat, communication, aide à la personne etc.), lesquels sont le plus souvent occupés par des femmes. Treize des quinze catégories professionnelles dont il est prévu qu'elles prendront de plus en plus d'importance dans les années qui viennent emploient majoritairement des femmes. L'économie industrielle était une économie surtout masculine, l'économie post-industrielle devient une économie féminine. "Celle-ci souligne Hanna Rosin, favorise les compétences comme l'intelligence sociale, les communications, la concentration. Des valeurs auxquelles les femmes semblent être plus à l'aise que les hommes".

(...)

Mais la participation des femmes aux différents secteurs professionnels n'en reste pas moins largement sexuée: un très grand nombre de femmes dans l'enseignement, la magistrature et les professions de justice, les relations publiques, les services aux personnes, la puériculture, les professions de santé, qui sont aussi les secteurs les plus en expansion, un très petit nombre dans les métiers manuels, le bâtiment, l'informatique, l'ingéniérie, le personnel pénitentiaire, la haute finance. L'ouverture massive du marché du travail aux femmes a donc indirectement confirmé les différences entre les hommes et les femmes en matière d'orientations et de comportements.

Contrairement aux hommes, qui se dirigent majoritairement vers les métiers impliquant un haut degré de compétition et une relation aux objets, les femmes se sont orientées massivement vers les métiers impliquant un haut degré de coopération et une relation à autrui. Même dans les sociétés qui se veulent les plus "égalitaires", certains métiers restent essentiellement masculins, d'autres essentiellement féminins, non pas tant parce que certains métiers sont "interdits aux femmes" (ce qui peut arriver occasionnellement) que parce que le choix de ces métiers répond à des affinités, des goûts, des orientations propres à chaque sexe. En Norvège, pays réputé le plus égalitaire en matière de relations entre les sexes, 90% des infirmiers sont des femmes, et 90% des ingénieurs sont des hommes.

Alain de Benoist, Les démons du bien, 2014

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