La Table rase cartésienne est peut-être le plus fort mensonge philosophique de tous les temps. C'est en tout cas celui dont l'application pèse le plus de fortement sur le nôtre. L'idée de «faire table rase», de repartir à "zéro" constituent constituent toujours une tentation séduisante. Mais c'est précisement l'entreprise impossible: impossible sinon dans une vue de l'esprit tout arbitraire, ne tenant aucun compte des réalités concrètes. Parce que tout ce qui est vie est transmis.
On ne part jamais de zéro. Freud le démontrerait au besoin. Ou encore, en termes simples, ce texte de la Genèse montre qui nous montre chaque fruit «portant sa semence» - ce qui niait d'avance toute génération spontanée. Il est saisissant de penser que chaque fois qu'elle a été transposée dans les faits, la tentation de "repartir de zéro" s'est soldée par la mort, par de multiples morts et destructions, et cela dans tous les domaines.0
Pour avoir voulu faire "Table rase", combien de fois aura-t-on stupidement détruit ce qui aurait pu être un point d'appui, pierre d'attente? Mais il sera peut-être donné à notre époque de redécouvrir l'importance de la tradition, qui est un donné vivant, susceptible comme toute vie de croître, d'acquérir, de s'enrichir de nouveaux apports. On ne pourra le faire qu'en redécouvrant l'importance de l'Histoire, qui est la recherche du vécu, ce vécu à partir duquel menons notre propre vie. Il en est de l'histoire comme des strates archéologiques: il y a toujours la couche sous-jacente, et lorsqu'on arrive au sol vierge, l'archéologue cède la main au géologue qui nous retrace, lui, l'histoire de ce sol .
Régine Pernoud, Pour en finir Avec le moyen âge, 1979