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"N'oublie pas de rechercher aussi le bonheur que procure une compréhension nouvelle, apportant un lien supplémentaire entre le monde et toi. Ce devrait être l'oeuvre à laquelle tu apportes le plus grand soin, et dont tu puisses être le plus fier."

 

Albert Jacquard, A toi qui n'est pas encore né.

"On se fait généralement du progrès une idée fort élémentaire"

 

Régine Pernoud (1909-1998), historienne

"Moins d'histoire et de chronologie, ça ne va pas faire des jeunes gens modernes, ça va faire des jeunes gens amnésiques, consensuels et obéissants

Régis Debray

 

 

"Les véritables hommes de progrès ont pour point de départ un respect profond du passé"

Ernest Renan

 

 

4 novembre 2021 4 04 /11 /novembre /2021 14:29

 

Pendant environ soixante-dix ans, les Vikings assaillent les côtes de la Manche et les rives de la Seine. Malgré leur faible nombre, ces envahisseurs bousculent la défense locale et réussissent à s’installer dans la région qui deviendra la Normandie, la seule implantation durable des Scandinaves dans le royaume des Francs. En 911, leur chef Rollon devient en effet comte de Rouen. Quelles sont les raisons de ce succès ?

 

(L’article suivant est présenté sous forme d’interview fictive)

 

Après une première tentative avortée en l’an 820, une flotte viking s’engage dans l’estuaire de la Seine le 12 mai 841. Comment se déroule cette première incursion en Normandie ?


– A merveille pour les Vikings. Le 12 mai, ils entrent dans l’estuaire de la Seine. Deux jours plus tard, ils sont à Rouen qu’ils mettent à sac pendant deux jours puis incendient.. Une quinzaine de jours après leur arrivée dans la Seine , les Vikings regagnent la mer, chargés de butin.

Quelles motivations guidaient les Vikings à s’aventurer si loin de leur pays ?


– Les raisons sont multiples. Régis Boyer, spécialiste des civilisations nordiques, met en avant l’appât du gain. Les Vikings recherchent l’or. C’est pourquoi ils attaquent de préférence les monastères et les places marchandes. Au passage, ils capturent des humains afin de les vendre comme esclaves. L’opposition à ces assauts est souvent insignifiante : les villes – ne parlons pas des abbayes – sont généralement mal défendues et le roi Charles le Chauve, petit-fils de Charlemagne, doit faire face à de multiples dangers. Les Bretons poussent à l’ouest, l’Aquitaine menace de faire sécession tandis que l’aristocratie franque revendique de nouveaux pouvoirs. Les Vikings ont un boulevard devant eux.

Quelles tactiques emploient les Vikings pour réussir leurs opérations de pillage ? On a souvent parlé de l’effet de surprise.


– Oui, cela peut être une explication de leur succès, surtout dans les premiers temps, lorsque les Vikings pratiquent des raids brefs pendant la belle saison et repartent en Scandinavie une fois leurs bateaux chargés de butin. Cependant, quand ils remontent les fleuves, quand ils se mettent à assiéger plusieurs jours les villes et à hiverner sur des îles de la Seine – nous savons qu’ils montèrent des camps au niveau de Jeufosse et d’Oissel -, l’effet de surprise disparaît. Par contre, reste la peur. Les envahisseurs osent s’en prendre aux choses les plus sacrées (églises et clercs), provoquant l’effroi des autochtones par quelques massacres. Si bien qu’au bout d’une dizaine d’années, les Scandianves n’ont plus besoin de piller. Les monastères, les villes et même le roi consentent à leur verser des tributs pour leur départ, les danegelds.

Comment expliquer finalement l’échec de la défense franque ? Les Vikings ne sont pas mieux armés que leurs adversaires et ils ne sont pas plus nombreux.


– Les Carolingiens paient notamment leurs absence de flotte. Les Vikings naviguent impunément sur les mers et les fleuves. L’armée carolingienne, longue à mobiliser, échoue face à des adversaires plus mobiles qu’elle. En cas de danger, les Vikings se replient dans leur bateaux. Ils n’étaient pas poursuivis. L’impuissance du roi Charles le Chauve apparaît au grand jour quand il est contraint de payer des Vikings pour chasser d’autres Vikings qui campent sur l’île d’Oscellus (Oissel). Wéland et sa bande reçoivent ainsi 5 000 livres des Francs. Aussitôt payés, ils entreprennent en 861 le blocus de l’île d’Oscellus. Au début de l’hiver, les Vikings assiégés se rendent ; Wéland leur accorde la vie sauve et l’hivernage dans la basse-Seine en contrepartie de 6000 livres. En deux coups, le mercenaire scandinave a fait fortune.

Après une période d’accalmie, les invasions scandinaves reprennent dans la région à partir de 885. Comment le roi carolingien Charles le Simple résout ce problème récurrent ?


– Il traite avec le chef viking Rollon. Nous ne savons rien de certain sur ce personnage ; l’historiographie place son arrivée en Normandie en l’an 876. A force de multiplier les raids, sa bande de Vikings n’arrive probablement plus à soutirer beaucoup d’argent d’une région épuisée par les pillages et les tributs. Rollon commence donc à exploiter directement le pays, à le coloniser et à le contrôler. Incapable de s’en débarrasser, Charles le Simple décide de s’en faire un allié. Il lui abandonne tout le pays entre l’Epte et la Manche, dont Rouen. En échange, Rollon doit accepter de se convertir au christianisme et de protéger le royaume contre de nouveaux envahisseurs. C’est le fameux traité de Saint-Clair-sur-Epte, conclu en 911. Cet accord s’avère un bon coup politique, car Charles le Simple aura la paix jusqu’à la fin de son règne, du moins du côté normand.

Ce traité marque la naissance de la  Normandie…


– Oui, car le territoire cédé à Rollon et peuplé par ses compatriotes nordiques, prendra le nom de Normandie, « le pays des Normands », c’est-à-dire des hommes du Nord.

Quel est l’état de la Normandie quand Rollon accepte le traité de Saint-Clair-sur-Epte ?


– Les premiers historiens normands, notamment Dudon de Saint-Quentin, ont répandu l’image d’une région désertée suite aux raids vikings. Aujourd’hui l’historiographie se montre plus mesurée. Oui la future Normandie fut durement éprouvée, oui les élites et les communautés monastiques ont fui mais aucune ville n’a disparu et l’archéologie rurale n’a pas mis en évidence une rupture brutale dans l’occupation du sol pendant cette période troublée.

 

L’archéologie a retrouvé peu de témoignages matériels d’une présence viking en Normandie. Des dragages dans la Seine ont juste permis de retrouver quelques armes. Où sont les traces de l’empreinte nordique ?

L’héritage le plus notable se situe dans la toponymie. Regardez combien de noms de lieux qui, en Cotentin, dans la plaine de Caen, en Roumois ou en Pays de Caux, trahissent une origine scandinave. Ce sont notamment tous ces toponymes qui se terminent par -tot, par -fleur, ou par -beuf : Honfleur, Harfleur, Barfleur, Quillebeuf, Elbeuf, Yvetot… Il y a en a des centaines parmi les hameaux, les villages et les villes de Normandie.

Ce sont les preuves d’une colonisation viking ?


– Oui, avec cette nuance que ce ne sont pas forcément des sites d’habitat nouveaux. Il peut s’agir de villages désertés par les autochtones et que les Scandinaves se sont appropriés. N’imaginons pas pas un raz-de-marée. A la suite de Lucien Musset, les historiens considèrent que les envahisseurs étaient peu nombreux, peut-être quelques dizaines de milliers.

 

Les Vikings ont aussi laissé leur empreinte dans la langue…

C’est à relativiser. Selon la linguiste Élisabeth Ridel, environ 155 mots vikings sont passés dans le parler normand et une infime minorité se retrouve aujourd’hui dans le français. Ce vocabulaire tourne généralement autour de la mer et sert à décrire les littoraux, les éléments d’un bateau, ou l’activité de pêche… Saviez-vous que vague, homard, quille, cingler sortent de la bouche des Scandinaves ?

 

En fin de compte, l’héritage viking s’avère modeste. C’est assez paradoxal car les Scandinaves sont tout de même à l’origine du duché de Normandie.

 

Oui, c’est un paradoxe. Mais il s’explique facilement. Les Vikings qui se sont installés en Normandie ont fait le choix de l’assimilation. Ils se sont convertis au christianisme, ont épousé les autochtones, ont abandonné leur langue et ont repris le cadre administratif et judiciaire carolingien. Un siècle après leur installation, leur originalité s’était diluée.

 

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10 janvier 2021 7 10 /01 /janvier /2021 09:32

Comparaison du calendrier du Rustican (1459) et de Piero de Crescenzi (1304-1306)

A- Calendrier du Rustican


annee

 

B-Extraits du calendrier de Crescenzi, agronome de Bologne (Italie)

Janvier: "on peut très bien couper les arbres  pour les bâtiments. Et l'on peut aussi se procurer du fumier nouveau et porter le fumier ancien aux hamps et aux vignes; semer fèves, ciceroles et vesces. Si les champs ne sont pas mous, on peut aussi faire les premiers labours.(...) Encore pendant ce mois, fait-on les poteries usuelles et les charettes et tout ce qui se fait dans les maisons durant le temps mort. On peut également acheter tous les animaux domestiques, capturer les animaux sauvages; et transporter les abeilles d'un endroit à l'autre."

Février: "On peut porter le fumier aux champs et y semer les fèves (...) sarcler le blé, le seigle et l'épeautre, drainer toutes ces terres et brûler les chaumes. (...) On taille également très bien la vigne. (...) Il est également possible d'élaguer les arbres (...) planter des variétés de légumes et herbes: ail, arroche, anis, aneth, céleri, absinthe, citronelle, oignon, basilic, chou, fenouil, réglisse, laitue, poireau, perseil, épinards, échalottes. Les herbes médicinales peuvent être plantées ce mois-là dans les jardins et ailleurs.(...)"

Mars: " au mois de mars on travaille très bien le sol des champs. On sème aussi l'avoine, les pois chiches et le chanvre dans les régions chaudes et les fèves dans les régions tempérées et froides. On sème aussi le sorgho, le millet et les haricots.  (...) Durant ce mois, on peut planter, transplanter et bêcher les arbres (...) . On y travaille aussi les jardins; on leur donne du fumier et on y sèmes toutes les graines inqidiquées au mois de février.  A la fin du mois on sème les concombres et les citrouilles, les melons, la sauge.(...)"

Avril: "On laboure les champs gras et les champs humides. On sème également les pois chiches dans les contrées froides  et, dans les contrées tempérées, le chanvre et le sorgho. (...) Il faut également protéger des bêtes les petits plants d'arbres. Dans les champs déjà labourés il faut veiller aux pigeons parce qu'ils trouvent peu de choses à becqueter dans les champs. (...) Il faut aussi nettoyer les ruches, tuer les gros papillons qui abondent, lorsque la guimauve fleurit. Ce moi-ci encore, on peut comme aux mois d'été, prendre fauves, oiseaux et poissons."

Mai:" On laboure les champs gras (...) les champs asséchés peuvent être labourés une seconde fois. (...) toutes les semences sont proches de la floraison: elles ne doivent plus être touchées par le cultivateur. (...) On peut greffer les pêcher, le citronnier et le figuier dans les contrées chaudes. Au même moment on laboure les parties des champs destinées à recevoir les semences ou les plantes de l'automne."

Juin: "Il faut mettre l'aire en état (...) à ce moment là on peut semer le millet et le panic. En premier lieu on moissonne l'orge. Ensuite vers la fin du mois on moissonne le blé dans les contrées chaudes, et on la commence dans les contrées tempérées. (...) Nous faucherons le foin pour la nourriture du bétail. C'est durant ce mois, également, que l'on doit récolter les légumes, et déraciner les fèves (...). On castre aussi les veaux, et l'on fait le fromage, et l'on tond les moutons dans les contéres froides. On ôte les gaufres, si elles ont beaucoup de miel, et l'on fait la cire." 

Juillet: "On doit labourer les champs cultivés pour la seconde fois, et l'on finit la récolte du grain et des légumes dans les régions tempérées. (...) Vers la fin du mois on sème les raves et les navets. (...) il faut cueillir les amandes, soumettre les vaches au taureaux, et semblablement les brebis aux béliers. On fauche les prés, là où l'herbe n'est pas encore arrivée à maturité.

Août: "Il faut labourer les champs pour les troisième fois. Au début du mois, et même avant, on arrache le lin et le chanvre (...). C'est encore vers la fin du mois que l'on cueille le sorgho, qui est alors mûr. On recueille et fait sécher les figues. (...) Dans de nombreuses contrées chaudes, vers la fin du mois, on commence à préparer la vendange. 

Septembre: " On peut labourer les champs gras et ceux qui, d'habitude, retiennent longtemps l'humidité. (...), Dans les régions chaudes on sème à ce moment-là le lin. (...) A la fin du mois dans les contrées tempérées on fait la vendange et tout ce qui en dépend. (...) On cueille également les fruits des arbres, dont la maturité apparaît alors. (...) Ce moi-ci on peut faire les nouveaux prés, en extirpant d'abord les racines, les ronces, les troncs, les arbres, l'herbe abondante et dure. (...) Ce moi-là on chasse les vieilles abeilles et on fait le meil et la cire.

Octobre: "On peut faire les puits, creuser les fossés et porter le fumier dans les champs. Dans les contéres tempérées on peut semer le blé, l'orge, l'épeautre, le lin. (...) Dans les régions chaudes on plante les cerisiers, les pommiers, les poiriers et tous les autres arbres qui ne craignent pas le froid. (...) On sème aussi dans les jardins l'ail, l'anet, les épinards, la guinmauve, les oignons, la menthe, le thym, l'origan (...). On enlève également aux abeilles le miel en excédent avec les gaufres et toute la cire corrompue."

Novembre: " Au début du mois de novembre dans les contrées chaudes, on sème convenablement le blé, l'orge et le seigle. Et vers la fin du mois, on sème la fève dans les chaumes non labourés.  Le lin et la lentille se sèment ce mois.  (...) Dans les contrées froides, il convient de bêcher les vignes nouvelles (...) et de fumer les terres maigres. Durant ce temps et par la suite, jusqu'au moment où la terre gèle, on doit prendre un soin particulier à la vieille vigne (...). Ce mois-là encore on met les béliers avec les brebis, et les boucs avec les chèvres, afin que les petits, nés au printemps, puissent se nourrir. Ce mois-là encore, on prend les fauves, les oiseaux et les poissons avec des artifices divers.

Décembre: "On peut semer les fèves (...) et couper les bois pour les maisons, et pour tous les autres travaux (...) et les haies vertes  pour le bois de chauffage, et les perches et les bâtons pour les vignes.  (...)  On peut prendre les bêtes sauvages - surtout par temps de neige -  avec les chiens et les oiseaux, avec des rapaces domestiqués avec des divers filets et avec de la glu.

Piero de Crescenzi (1233-1320)

 

Travail à réaliser

Donner un nom à chaque activité  du calendrier (doc A) et en ajouter une de votre choix à partir du doc B pour chaque mois.

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8 janvier 2021 5 08 /01 /janvier /2021 15:50

Le sacrement du baptême, miniature XIIe siècle

L'intégration d'un nouveau né à la communauté des fidèles passe par le baptême. Ce sacrement qui efface le péché originel a donc une fonction sociale. En cas d'urgence, les laïcs, hommes et femmes, doivent l'administrer eux-mêmes. (…)

Autre rite de passage auquel préside le curé, le mariage doit désormais se dérouler publiquement. Les empêchements entraînés par la parenté canonique (réduits par Latran IV de 7 à 4 degrés) relèvent désormais de l'officialité. Partout les célébrations clandestines sont condamnées, sous peine d'amende pour le célébrant. Il appartient également au curé de publier les sentences d'excommunication dont les évêques usent et abusent. De simples prêtres vont jusqu'à prendre l'initiative de telles sanctions. L'abus des excommunications (souvent pour dettes) explique qu'elles ne frappent outre-mesure les destinataires qui font même de l'obstruction. (…) L'obligation pour les paroissiens d'assister aux offices ne se limite pas à la messe du dimanche. Elle s'étend aux jours fériés (de 50 à 60 selon les diocèses). Le contrôle du clergé s'étend désormais à la pratique des sacrements imposée par le canon de Latran IV: « tout fidèle parvenu à l'âge de discrétion doit confesser ses pêchés au moins une fois l'an à son curé, accomplir la pénitence qui lui est imposée, recevoir au moins à Pâques, le sacrement de l'eucharistie ». L'idée que les sacrements sont des remèdes et celui qui les administre un médecin fait figure de lieu commun que diffusent les prédicateurs.

La confession, tout en évitant l'enfer au pénitent, assure l'emprise du curé sur ses paroissiens. A partir de 8 ans, ceux-ci doivent avouer leurs fautes au moins une fois par an. (…) Il n'est pas encore question de confessionnal, mais les prêtres doivent disposer d'un endroit « où les gens puissent les voir l'étole au cou ». Également sous l'influence du concile de Latran IV, la généralisation de la communion pascale a pour corollaire le développement d'un respect quasi-superstitieux pour le Saint Sacrement.

B. Merdrignac, la Vie religieuse en France au Moyen-Âge, Synthèse-Histoire, 1994

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16 octobre 2020 5 16 /10 /octobre /2020 12:26

Les syriaques1 avaient entrepris de traduire dans leur langue, dès la fin du IVe siècle, les écrits logiques d'Aristote dont ils avaient besoin pour comprendre les Pères grecs et lutter contre les arguments hérétiques. […] Le plus célèbre traducteur du VIe siècle s'appelait Sergius de Res'ayna. Il traduisit 26 ouvrages de Galien ainsi que, entre autres, les catégories d'Aristote. Au VIIe et VIIIe sous l'occupation musulmane, l’œuvre de traduction du grec en syriaque se poursuivit […] Les traductions en arabe apparaissent au VIIe pour atteindre leur apogée au IXe siècle. C'est alors que les ouvrages philosophiques, médicaux et scientifiques les plus importants de la Grèce ont été transposés en arabe, ce qui explique que l’œuvre scientifique des Arabes musulmans n'apparaisse qu'au Xe siècle. […] L'un des problèmes les plus délicats posés par la transcription en arabe était l'absence totale de termes scientifiques dans cette langue : les conquérants étaient des guerriers, des marchands, des éleveurs, non des savants ou des ingénieurs. Il fallut donc inventer un vocabulaire scientifique et technique. Des chrétiens ont ainsi forgé, de A à Z, le vocabulaire scientifique arabe. Telle fut notamment l’œuvre d'Hunayn ibn Ishaq (809-873), le véritable créateur de la terminologie médicale arabe , dont le génie consista non seulement à décalquer des mots grecs et à les « arabiser » en leur donnant une sonorité arabe (philosophia devenant falsafa) mais aussi à inventer des équivalents arabes en prenant appui sur le sens des mots : le mot «  pylore » en grec qui veut dire « gardien » a par exemple été rendu par le mot arabe « bawnwâb » (« portier »). […]

__________________________________

Les califes de Bagdad s'entourèrent pendant plus de trois siècles, du VIIIe au milieu du XIe , de médecins chrétiens (nestoriens pour la plupart). A Damas , sous les Omeyades exercèrent de nombreux médecins arabes chrétiens, tels Ibn Athal, Abu Hakam qui soigna le premier calife omeyade, Mu'awiya […]. Sous la dynastie abbasside de Bagdad, les médecins nestoriens régnèrent en maîtres de leur discipline […] créant des écoles liées aux couvents et enseignant la philosophie, la médecine et la théologie, ce qui ne fut pas toujours du goût des autorités musulmanes.

Politiquement et démographiquement minoritaires ces chrétiens se valorisèrent en exerçant des professions qui assuraient estime et protection de la part des califes mais attisaient aussi la haine du peuple contre eux. Plusieurs familles se consacrèrent à la carrière médicale, de génération en génération : les Sarâfiyûn dont le plus célèbre est Yuhanna ibn Sarâfiyûn. Ces dynasties constituèrent une riche aristocratie, jalousée des musulmans mais indispensable aux califes en raison de leurs compétences. Al-Mansur en 765 utilisa la science d'un ophtalmologue chrétien. […]

C'est cette même médecine gréco-chrétienne que transmit en Occident Constantin l'Africain et que pratiquent d'ailleurs les byzantins. Certains marchands italiens, venus d'Amalfi, Venise ou Pise, qui installent leurs comptoirs dans l'Empire byzantin, apprirent aussi à la connaître dès le XIe siècle, tandis que son efficacité aurait été éprouvée par les mercenaires flamands au service de Constantinople dans la seconde moitié du XIe siècle […] C'est elle encore qu'introduisirent en Espagne musulmane les sabéens et les juifs. Dès la fin du X siècle, arrive à Tolède un sabéen originaire de Bagdad, Al-Harani, qui crée aussitôt une école de médecine. Selon les dires mêmes des chroniqueurs musulmans, les grands médecins d’Al-Andalous du Xe siècle sont des chrétiens mozarabes ou des juifs. Et c'est bien cette médecine gréco-syriaque que découvrent les croisés. En effet aux XIIe et XIIIe siècles, s'il y a désormais, et en nombre, des médecins musulmans, ils sont considérés par leurs coreligionnaires comme des praticiens de second ordre, les meilleurs étant toujours réputés être les chrétiens. […] En présence du savoir antique, l'attitude des nouveaux maîtres du Proche-Orient pouvait être quadruple : adoption, rejet, indifférence, emprunts sélectifs au moyen d'un filtre culturel et religieux. L'indifférence l'emporta souvent mais il y eut de nombreux rejets radicaux. On retint en général de l'héritage grec ce qui ne venait pas contredire l'enseignement coranique.

 

Aristote au Mont Saint-Michel, Chap. 2, Sylvain Gouguenheim, Ed. Du Seuil, 2008

 

1- Peuple du Proche-Orient (Syrie actuelle) ayant formé l'une des premières communautés chrétiennes (1er siècle ap. J-C)

ACTIVITÉ

1- Recherches: à qui correspondent les « pères grecs » ? Qui sont les « nestoriens » et les sabéens ? Les Omeyades et les Abbassides ? (2pts) 2- Rappelez la définition « d'hérétique » (1pt) 3- Quels sont les enseignements essentiels de ce document ? (3pts) Comparez-les avec la leçon du manuel sur le même sujet à la page 87 (2pts) 4- Comment expliquer la différence de point de vue avec le doc 5p83 ? (2pts) 5-Montrer dans un paragraphe d'une trentaine de lignes que ce texte témoigne de relations complexes entre civilisation musulmane et chrétienne ainsi que de l'importance de l'héritage grec. (10pts)

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7 février 2020 5 07 /02 /février /2020 11:51

breughel

L'étude des jeux et des traités de pédagogie témoigne de l'attention portée aux enfants; on les laisse jouer aux osselets, à la pirouette (la toupie), à la poupée, aux cartes, à la petite guerre, comme faisait Duguesclin avec de jeunes garnements de son âge. L'adulte doit les corriger très jeunes, "plier la verge tant qu'elle est grêle et tendre" (car elle casserait), ne pas hésiter à réprimander, puis à frapper, même s'ils pleurent, car ils sont violents et ont tendance à faire nombre de vilaines choses, à voler, à blasphémer. On leur apprendra d'abord les deux commandements de Dieu: aimer Dieu, aimer son prochain puis, le plus tôt possible, un métier.  Les deux plus beaux sont ceux de clerc (car rien ne s'oppose a priori à ce que l'on devienne prélat, saint ou pape) et de chevalier. Il faut les commencer fort jeunes; durant le Haut Moyen Age, ce sont des bébés que l'on confie à des monastères qui savent parfaitement les élever; au XIIe siècle encore, Suger a commencé à 5 ou 6 ans. Les futurs chevaliers s'entraînent dès 7 ans et au plus tard à 10 ans. A Florence, au début du XVe siècle, on place les petites filles dès 8 ans chez un patron, où on les "oublie"; le garçon en apprentissage au même âge continue à résider fort souvent chez ses parents et y revient quand il se marie; dès 13 ans, filles ou garçons sont considérés comme des adultes et, s'ils sont autonomes, peuvent se marier.

En somme les enfants sont en partie protégés dans la société chrétienne: les avortements, les infanticides, les pratiques contraceptives chez les époux sont péché mortel puni et réprimé, et l'on recommande la continence durant les règles, pour éviter de procréer des enfants monstrueux, durant la grossesse pour éviter de léser ou d'écraser l'embryon, et durant l'allaitement, car on pense que le lait maternel est formé du sang menstruel et qu'une nouvelle fécondatio mobiliserait ce sang et amènerait la mort du nourrisson.

Il existe donc un amour de l'enfant. Mais il est en partie faussé par la dureté des conditions matérielles: morts nombreuses et précoces, souci d'assurer une production future et rapide. Du fait de la brièveté de la vie, les activités productives commencent beaucoup plus tôt que de nos jours et finissent plus tôt encore.

Robert Delort, La Vie au Moyen Age, chapitre "Structures mentales et vie sociale", Ed Point Histoire, 1982 

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20 janvier 2020 1 20 /01 /janvier /2020 18:06

 

 

 

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18 septembre 2018 2 18 /09 /septembre /2018 11:15
Des paysans sales, pauvres et ne mangeant pas à leur faim, les connaissances accumulées lors de l'Antiquité peu à peu oubliées... Les clichés sur le Moyen Âge ont la vie dure ! La faute aux humanistes de la Renaissance, dont les constructions historiques renvoyèrent cette période, pourtant longue de 1000 ans, au rang d'âge sombre. C'est d'ailleurs à eux qu'on doit l'utilisation du terme "Moyen" : ils préféraient s'imaginer leur époque comme le miroir de l'Antiquité, qu'ils tenaient en haute estime, par opposition au Moyen Âge, caricaturé comme une période ignorante et superstitieuse. 
Ces clichés, bien ancrés dans notre imaginaire, persistent encore aujourd'hui. Alors que la tour médiévale Jean Sans Peur, à Paris, consacre une exposition à la question de "L'Hygiène au Moyen Âge", petit tour d'horizon de ces idées reçues. 
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Les gens étaient sales 
C'est sans doute l'un des préjugés qui perdurent le plus, tant il a été popularisé à travers les films et récits, à l'image du personnage grotesque de Jacquouille la Fripouille dans le film Les Visiteurs. Au Moyen Âge, à en croire les clichés, les paysans étaient couverts de crasse. La réalité est pourtant tout autre : héritage des thermes romains, les bains publics et étuves existent toujours dans les villes médiévales, où l'eau est considérée comme purificatrice. Le bain y est généralement hebdomadaire, et les plus démunis se lavent dans les rivières. La toilette est quotidienne, au moins pour les mains et le visage. 
L'hygiène est notamment prise très au sérieux lorsqu'elle est liée à la nourriture : les couches sociales les plus aisées ne manquent pas de se laver les mains avant de passer à table. Le livre Les Contenances de la table, paru au XVe siècle et destiné aux enfants, conseille ainsi de s'essuyer les lèvres avant de boire, de ne pas tremper sa viande directement dans la salière et de se laver les mains après le repas (après tout, la fourchette n'est pas encore utilisée !) :
Enfant se tu bois de fort vin
Met y de leave attrempeement
Et nen boy que suffisamment
Ou il te troublera lengin
Paradoxalement, c'est pendant la Renaissance que les normes d'hygiène se dégradent. La faute aux épidémies de peste noire qui ont traumatisé les populations : on craint alors que l'eau chaude, en dilatant les pores de la peau, ne laisse passer les maladies. Les bains publics sont peu à peu abandonnés, et on préfère se parfumer pour masquer les mauvaises odeurs. 
En février 2014, dans l'émission Du Jour au lendemain, Georges Vigarello, historien et directeur d’études à l’EHESS, auteur de Le Propre et le Sale, L'Hygiène du corps depuis le Moyen Age venait raconter l'évolution des critères de propreté au fil des siècles : 
Le parfum, c'est une histoire singulière. Avec le parfum la sensibilité immédiate des hommes du temps, au XVIe, donne le sentiment que vous purifiez. On peut purifier les villes contre la peste avec des procédés qui consistent à projeter de l'arôme ! Le parfum est ainsi utilisé dans les hôpitaux pour rendre l'air plus sain, ce qui est totalement contradictoire et impensable pour des repères qui sont les nôtres, mais évident pour les repères du XVIIe.

 

Il n'y a pas eu d'avancées scientifiques
L'Antiquité a été une période si prolifique de l'Histoire sur le plan des découvertes scientifiques que les avancées technologiques et scientifiques du Moyen Âge ont tendance à passer un peu inaperçues en comparaison. Les découvreurs n'ont pourtant pas subitement cessé d'exister l'espace d'un quasi-millénaire, du Ve au XVè siècle et le Moyen Âge s'est inscrit dans la continuité de l'Antiquité. 
Les moulins à eau par exemple, qui existaient déjà, sont perfectionnés et modernisés au point de faire du meunier un personnage indispensable de la vie du village : c'est grâce à l'énergie hydraulique qu'on actionne les machines qui permettent d'écraser le grain ou d'actionner les soufflets des forges. De la même façon, la roue à filer permet de gagner en efficacité pour le tissage des vêtements. 
C'est aussi l'époque de l'invention de l'horlogerie, à partir du XIIIème siècle, et de la sidérurgie moderne. Le Moyen Âge est en réalité un âge mécanique, qui met à contribution les forces naturelles (vent, eau, système de poids) à l'aide de mécanismes complexes.
Les découvertes ne sont pas que d'ordre technique : la circulation des idées permet notamment à la médecine de se développer et de se nourrir de la médecine arabo-musulmane, au rang desquels le Canon de la médecine d'Avicenne, une encyclopédie médicale qui synthétise, en 1025, les médecines grecque, hindou et arabe. 
Dans une conférence enregistrée en mai 2017, l'historienne médieviste Danielle Jacquart rappelait qu'au XIIe siècle, la médecine fut la première à connaître son renouveau : 
S’imposa alors l’idée selon laquelle un médecin digne de ce nom devait être lettré, connaître l’anatomie, la physiologie du corps humain, et rechercher les causes des maladies pour être en mesure d’appliquer un traitement. Et si la médecine prétend être une science, c’est qu’elle recherche les causes des maladies. [...] Même si nous savons aujourd’hui que les connaissances anatomiques étaient imparfaites, que la théorie médicale était peu apte à justifier des traitements efficaces pour les maladies les plus sévères, ce choix d’une médecine savante fondée rationnellement fut capital.
Les paysans ne mangeaient pas à leur faim
A l'évidence, on ne trouvait pas les mêmes mets à la table d'un seigneur et à celle d'un paysan, mais contrairement aux idées reçues, les personnes en bas de l'échelle sociale n'étaient pas si mal loties. L'image du paysan affamé nous vient tout droit des représentations des famines, régulières au cours des 1000 ans qu'a duré le Moyen Âge. Après tout c'est pendant cette période qu'est apparue la prière "A fame, bello et peste, libera nos Domine" :
De la peste, de la famine et de la guerre, délivrez-nous, Seigneur.
En cas de famine, l'aristocratie et le clergé étaient évidemment mieux protégés ; mais ils ne l'étaient pas forcément des épidémies qui allaient de pair. En règle générale, l'aristocratie avait accès à des denrées de meilleure qualité et en plus grandes quantités, notamment en ce qui concerne les viandes. Les paysans, s'ils se nourrissaient principalement de légumineuses et céréales, en consommaient également, quoique plus souvent sous forme salée ou fumée. La base de leur alimentation reste cependant le pain, fabriqué à base de farine de froment ou de seigle, comme en attestent les nombreux fours à pain retrouvés lors de fouilles archéologiques. Cet aliment principal les rendait néanmoins vulnérables aux conditions climatiques, à l'origine de nombreuses disettes.
En avril dernier, dans une série d'émissions consacrée à l'histoire de la faim, La Fabrique de l'Histoire revenait sur les nombreuses crises de famines qui ont parsemé le Moyen Âge, avec l'historien Gérard Béaur : 
La disette c'est la privation relative, et la famine c'est quand les gens meurent de faim. Les contemporains ne font pas toujours la différence. Quand [l'historien] Levasseur, il y a bien longtemps, a utilisé les chroniques pour répertorier les famines et disettes qui avaient eu lieu entre le Xe siècle et 1890, il trouve un nombre de famines absolument vertigineux, on a l'impression que c'est tous les jours ! Au XIe siècle, il y aurait eu 41 famines ! Il y a eu une grande confusion entre disette et famine. Pour les contemporains c'est un peu la même chose alors qu'on parle surtout de cherté : le grain devient très cher et inabordable pour les plus pauvres. Tout cela a créé des interrogations. [...] On en est arrivé à l'idée que chaque fois qu'il y avait une mortalité c'était une famine, que la faim était le grand pourvoyeur de la mortalité. Aujourd'hui on est en train de revenir sur cette question.
Les femmes étaient considérées comme des objets et ne travaillaient pas
Si la condition de la femme était très difficile, elle n'était pas aussi horrible qu'on a bien voulu le croire. A tel point que l'un de des exemples les plus emblématiques de la condition de la femme, le droit de cuissage, ou "droit de première nuit", pourtant à l'origine de nombreux récits, tient de la légende urbaine (ou est-ce rurale ?) et ne fut jamais inscrit dans la loi. 
En août 2018, dans l'émission Les Têtes Chercheuses, Julie Pilorget, doctorante en histoire médiévale et spécialiste d’histoire du genre était venue repousser les idées éculées sur la femme au Moyen Âge, tout en rappelant que le statut de celle-ci se définissait avant tout par rapport aux hommes...
Les trois statuts de la femme au Moyen Âge c'est celui de vierge, d'épouse et de veuve. On pense d'abord la femme au travers du mariage. [...] Le but pour la femme est de se marier et lorsqu'elle n'y arrive pas on peut avoir l'instauration dans certaines municipalités, dans le sud de la France,  de communautés d'organismes de charité qui vont aider ce qu'on appelle "les jeunes filles à marier" afin de leur constituer une dot. 
Si on est encore loin d'une égalité de droits pour l'homme et la femme, on aurait tort d'imaginer les femmes en train de filer la laine en attendant que leur époux revienne de sa journée de travail. Les femmes participent en effet aux travaux des champs ou aux ateliers, voire les dirigent à la mort de leur époux. Certaines d'entre elles possèdent ainsi des commerces très lucratifs.  
Si le Moyen Âge est pour les femmes une période d'émancipation, il n'en reste pas moins une période de marginalisation, spécialement pour les femmes seules, poursuivait Julie Pilorget :
La femme qui vit seule est vue comme une marginale. On va souvent la dénommer d'après des termes très généraux de fille, fillette, ou de fille publique - et dans ce dernier cas clairement on la désigne comme prostituée. Il y a tout un flou autour de la désignation de ces femmes seules qui sont sujettes à des agressions. On estime de toute façon qu'une femme qui ne serait pas vierge et ne serait pas mariée, ou veuve, est une femme de mauvaise renommée, dont la virginité est de toute façon mise en cause.
Il n'y avait pas de villes
Non, le Moyen Âge en Europe ne consistait pas uniquement en des villages perdus au milieu des campagnes, encadrés par quelques châteaux forts épars. Certes, la majeure partie des habitants vivent alors dans des zones rurales, mais les pôles urbains, plus denses, ne disparaissent pas pour autant. Plus densément peuplés, ils sont des centres névralgiques de la vie quotidienne, où se concentrent les fonctions religieuses, politiques et économiques. 
C'est parce que les habitations, constituées de bois, ont disparu au fil du temps que cette image d'un Moyen Âge dénué de villes a longtemps perduré. "Cette société médiévale n'a pas été cette période noire, du terme anglais qui a trop longtemps duré "dark ages".  Elle a été au contraire un temps d'expansion, de création, dynamique", protestait Jacques Le Goff dans l'émission Les Lundis de l'Histoire en février 2012.  La ville médiévale s'organisait en particulier autour de la place du marché, comme le racontait l'historien et professeur au Collège de France, titulaire de la Chaire d’histoire des pouvoirs en Europe occidentale (XIIIe-XVIe siècles), Patrick Boucheron :
La ville est le lieu d'une foire permanente, hors la ville ce n'est rien d'autre. C'est le lieu où la foire est permanente, où l'on peut trouver la diversité des activités. Cette fonction économique, qui est une fonction essentielle de valorisation du prélèvement féodal, trouve sa forme urbaine qui est évidemment la place du marché. [...] Le plus souvent elle n'est rien d'autre qu'un carrefour un peu élargi, dégagé, un lieu où l'on se retrouve. Mais ce qui fait l'espace public ce n'est pas architectural, c'est la pratique sociale de l'espace. 
Au début du Moyen Âge, les barbares ont mis l'Europe à feu et à sang
Ce cliché a d'autant plus la vie dure qu'il a été enseigné au collège. Pourtant aujourd'hui on ne parle plus tant d'invasions barbares que de grandes migrations. Ces dernièress commencent dès le IIe siècle et s'intensifient au Ve siècle. S'il y a des épisodes violents, les migrations sont surtout dues à des crises climatiques et la plupart des installations se font de façon pacifiques : "les Francs, les Alamans, les Burgondes, les Wisigoths, passent des contrats avec Rome, qui leur accordent le droit de s’installer sur les terres romaines tout en conservant leurs lois, leurs coutumes, leurs langues, en échange de services : ils vont ­défendre la terre et la cultiver", relate l'archéologue Isabelle Catteddu dans un entretien au Monde.
Le terme "barbare" regroupe en fait les personnes qui ne sont ni grecques, ni romaines, dont l'intégration se fait de façon progressive, au fil des siècles. En décembre 2012, dans l'émission Concordance des Temps, Bruno Dumézil, maître de conférences à l’Université de Paris Ouest Nanterre La Défense et organisateur d’un dictionnaire intitulé Les Barbares, revenait sur ces stéréotypes, devenus de puissants moteurs de l'Histoire : 
L'armée romaine embauche en masse des barbares. Parce qu'on a une crise démographique à Rome, parce qu'on a beaucoup plus de mal à trouver des légionnaires, on fait venir des barbares jugés plus compétents, plus loyaux, plus efficaces. A tel point qu'au IVe siècle plus de la moitié de la légion dite romaine est étrangère : ce sont des mercenaires barbares qui assurent le salut de Rome, la protection des frontières contre d'autres barbares de l'étranger jugés moins romanisés, moins assimilables...
Ces grandes migrations se poursuivront jusqu'au VIe siècle et s'achèveront avec l'arrivée des Slaves dans l'Empire romain d'Orient puis des Lombards en Italie du Nord.
Par Pierre Ropert, 6 septembre 20118, France Culture
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14 décembre 2016 3 14 /12 /décembre /2016 15:18

Abbaye de Fronfroide (Département de l'Aude, France)

 

Les premières en date de ces règles occidentales, celle d'Augustin, remontent au IVè siècle et la plus connue attribuée à Benoît de Nursie. (…) Ces associations (les monastères) autonomes qui s'égrènent sur quinze siècles présentent les propriétés qu'on reconnaît non aux choses mais aux corps vivants: la stabilité (ils résistent à ce qui pourrait les démolir aisément), la solidité, preuve de solidarité entre ses constituants, la cohérence, pour ne pas dire la cohésion, et la figurabilité (un faciès propre à chacun).

Levons de suite un quiproquo. Le moine (du grec monos, seul) n'est pas celui qui vit seul, à part, en anachorète, mais celui qui cherche à se sanctifier en s'unifiant lui-même. Le péché est éparpillement. Les frères sont disponibles mais suroccupés, avec un horaire qui ne paraît pas laisser de temps mort (cuisine, vaisselle, lessive, intendance, travail de la terre, offices etc.). (…)

Chacun des trois vœux solennels du profès1 est un cri d'insoumission, un gant jeté à notre nouvel ordre moral: la chasteté, un défi à l'obligation de « jouissez sans entraves »; la pauvreté, à l'arrogance économique; l'obéissance, aux fastidieux devoirs de scandale. (...)La recherche en intimité de l'Un salvateur – l'union à Dieu et l'unité en soi – n'implique pas l'isolement physique. Comme s'il fallait se mettre à plusieurs pour atteindre au recueillement, rassembler son cœur et ses forces. (…) « La première espèce de moines, dit la règle de St Benoît, est celle des cénobites, c'est-à-dire de ceux qui vivent en commun dans un monastère et combattent sous une règle et un abbé. »

(…) Tout espace clos commande la vertu parce que la survie d'un microcosme2 étanchéisé dépend de sa discipline (...)

L'assemblée médiévale des frères applique depuis le VIè siècle le principe de l'élection pour désigner le supérieur (qui n'apparaît dans les communes qu'en 1143). Élection consensuelle, visant à l'unanimité, après longue discussion. Les cisterciens ont inauguré le vote à bulletin secret, et les dominicains, le vote à la majorité simple.(...)

Très longue est la liste de ce que nous devons aux frères des villes et des clairières: nos meilleurs collèges (Oxford et Cambridge), nos écoles militaires, nos maisons de retraite, notre hôtellerie, nos ladreries3, orphelinats, bibliothèques, asiles de fous, nos hospices et nos hôpitaux. Ajoutons-y pèle-mêle, la gastronomie, le réseau routier (ponts, quais, viaducs compris), l'agriculture et l'agronomie, les eaux et forêts, la papeterie (proche des moulins à eau), la bière (inventée au IXè siècle, les premières brasseries ayant été des couvents, et la bière trappiste gardant la palme), le whisky, né dans les monastères d'Écosse (sans doute du besoin d'alcooliser l'eau par mesure d'hygiène), en plus du houblon et de l'orge, la vigne et le vin (nécessaire à l'eucharistie), le marquage du temps (l'horloge mécanique, progrès technique décisif, inventée pour calculer et synchroniser les offices). Un bouffeur de curés emprunte sa langue aux moines chaque fois qu'il parle de déjeûner (rompre le jeûne), de sa profession (déclaration de foi), sa pitance (la portion du moine), qu'il rejette toute capitulation (le compromis passé entre l'abbé et ses subordonnés, les moins capitulaires)qu'il veut avoir voix au chapitre ou pouvoir décompter les voix, s'agissant de bulletins récoltés par tel candidat (car le moine devait déclarer son opinion à haute et intelligible voix), à l'issu d'un scrutin (scrupuleux dénombrement de voix). N'oublions pas en chemin la lecture silencieuse qui a rompu avec un millénaire de lecture acoustique, à haute voix.

Régis debray, Le feu sacré, Chapitre Fraternité « l'exploit monastique », Folio-essais, 2003,

 

1- Personne qui fait ses voeux religieux

2- Image réduite du monde, société en miniature

3- Lieux pour soigner les lépreux

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31 janvier 2014 5 31 /01 /janvier /2014 07:14

paix de dieu

"Ecoutez, chrétiens1, l'accord de paix !

 

[1] Je n'envahirai d'aucune manière une église. Je n'empiéterai pas sur les aîtres [le terrain libre qui entoure une église et qui sert de cimetière ; lieu, délimité par des croix, où doit s'exercer la « Paix de Dieu », étendant celle-ci au-delà du refuge des églises] de l'église, sauf pour un malfaiteur qui aura enfreint cette paix. Et si j'envahis ces aîtres, je n'en retirerai, sciemment, rien d'autre que ce malfaiteur et ses affaires.

[2] Je n'assaillirai pas de clerc et de moine ne portant pas d'armes séculières ni de gens marchant avec eux sans armes ; je ne m'emparerai pas de leurs biens, sauf si leur culpabilité me donne alors une bonne raison de le faire. Et si leur culpabilité est prouvée, je ne prendrai pas plus que le prix du forfait et l'amende légale. (...)

[4] Je ne m'emparerai pas du paysan, de la paysanne, des serviteurs et des marchands. Je ne prendrai pas leurs deniers, je ne les ferai pas racheter, je ne prendrai ni ne gaspillerai leur bien, et je ne les fouetterai pas.

[5] Je n'enlèverai à personne son mulet ou sa mule, son cheval ou sa jument ou quelque autre bête se trouvant au pacage, y allant ou en revenant ou se trouvant en un autre lieu, à moins qu'ils ne me causent un dommage. Si j'en trouve, je ne les tuerai pas, je ne les détruirai pas. Si l'on veut bien réparer dans les huit jours le dommage qui m'a été causé et payer l'amende légale, je les rendrai.

[6] Je n'incendierai ni ne détruirai les maisons, à moins que je n'y trouve à l'intérieur un cavalier qui soit mon ennemi et en armes ou un voleur, ou qu'elles ne jouxtent un château qui réponde au nom de château. (...)

[9] Je ne détruirai pas de moulin, je ne m'emparerai pas du blé qui s'y trouve, à moins que je ne sois à l'ost2 ou qu'il ne se trouve sur la terre de ma propriété.

[10] Quant au voleur public et bien connu, je ne le protégerai pas et ne l'approuverai pas sciemment, ni son brigandage. Et l'homme qui enfreindra sciemment cette paix, qui viendra ou sera sous ma protection, je ne le protégerai pas dès que je serai au courant ; et s'il l'a enfreinte inconsciemment, soit je ferai réparation pour lui, soit je lui ferai faire réparation dans un délai de quinze jours après qu'on aura demandé raison. (...).

[12] J'observerai ce bref écrit tant que je vivrai (...). A l'exception des terres qui sont de mon alleu, de mon bienfait, en franchises ou en commandes ; à l'exception du temps pendant lequel je bâtis ou j'assiège un château, pendant lequel je participe à l'ost du roi, à celui de l'archevêque de Lyon et des évêques dont nous avons donné la liste des évêchés plus haut ou à celui des comtes ; à l'exception de la chevauchée des chevaliers. Même dans ce cas, je ne prendrai que ce que m'accorde mon sauf-conduit. Et je n'emporterai rien chez moi, à l'exception des fers pour les pieds des chevaux. Et je n'envahirai pas les sauvements de l'église pendant lesdits osts, à moins qu'on ne m'y ait interdit l'achat des vivres ou l'application de mon sauf-conduit.

[13] Depuis le début du jeûne jusqu'à Pâques closes, je n'assaillirai pas le cavalier ne portant pas les armes séculières et je ne lui enlèverai pas de force l'avoir qu'il portera avec lui.

[15] J'observerai tout cela, jusqu'à la présente fête de saint Jean-Baptiste, et à partir d'elle pendant sept ans.

 

Burchard, archevêque de l'Eglise de Lyon, a établi ce pacte de paix au concile de Verdun, en présence de ses évêques (...) qui tous ensemble ont prononcé la formule d'excommunication : celui qui ne tiendra pas cette paix à partir d'aujourd'hui, qui ne la jurera pas d'ici la fête de saint Pierre (à l'exception de ceux qui ont déjà juré), qu'il n'entre plus dans l'église avec les chrétiens, qu'il n'ait plus leur compagnie, qu'il ne reçoive plus le corps et le sang du Seigneur jusqu'à ce qu'il jure cette paix. Nous n'ordonnons pas de jurer ce sacrement à ceux qui ne sont pas cavaliers et ne portent pas les armes séculières. Participa à ce concile Oury, dans les faits honorable prêtre, en espoir vénérable évêque. "

 

Source : R. Bonnaud-Delamare, « Les institutions de paix dans la province ecclésiastique de Reims au XIe siècle », dans Bulletin philologique et historique (jusqu'à 1715) du Comité des travaux historiques et scientifiques, années 1955-1956, Paris, 1957, p.148-153.

 

1. Document adressé aux chevaliers

2. Service militaire demandé aux chevaliers par le roi.

 

VOTRE TRAVAIL

 

A partir de cet extrait montrez tout d'abord que le XIe siècle est marqué par de nombreuses formes de violences que l'Église tente d'atténuer, puis présentez le moyen de pression utilisé par celle-ci pour y parvenir tout en nuançant l'impact qu'a pu avoir un tel serment. Le tout en une quinzaine de lignes. 

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27 septembre 2012 4 27 /09 /septembre /2012 10:17

moyen--ge"En échange de sa tenure, le tenancier doit à la mi-février 2 jours de travail avec des boeufs; en mars, 2 jours avec des boeufs; dans les quinze premiers jours d'avril, 1 jour avec des boeufs et dans les quinze autres jours, 1 jour avec des boeufs le matin, avec les mains l'après-midi; à la mi-mai, 7 jours avec des boeufs sur un hectare de terre; payer aussi le cens de 15 deniers; en juin, 2 jours avec des boeufs; en juillet, 3 jours avec une faux ou une fourche; entre août et septembre, 15 jours avec une faux pour moissonner deux hectares de terre, l'un de blé, l'autre d'avoine; à la Saint Rémi (début octobre), 7 jours avec des boeufs; en octobre, 1 jour avec ses mains et un autre jour avec des boeufs; de la Saint Martin (début novembre) jusqu'à la mi-février, 15 jours avec les mains."

D'après le censier (document qui énumère les charges des tenures) au domaine de Manise (Ardennes), fin XIè siècle

Questions

1- Qu'est-ce qu'un tenancier ?

2- Quelle somme doit verser le tenancier ?

3- Calculer le nombre de jours de corvées dans l'année

4- En quelle saison le seigneur exige-t-il le plus de jours de corvées ? Pourquoi ?

5- Sur quelles terres les tenanciers sont-ils tennus d'effectuer ces corvées ?

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