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"N'oublie pas de rechercher aussi le bonheur que procure une compréhension nouvelle, apportant un lien supplémentaire entre le monde et toi. Ce devrait être l'oeuvre à laquelle tu apportes le plus grand soin, et dont tu puisses être le plus fier."

 

Albert Jacquard, A toi qui n'est pas encore né.

"On se fait généralement du progrès une idée fort élémentaire"

 

Régine Pernoud (1909-1998), historienne

"Moins d'histoire et de chronologie, ça ne va pas faire des jeunes gens modernes, ça va faire des jeunes gens amnésiques, consensuels et obéissants

Régis Debray

 

 

"Les véritables hommes de progrès ont pour point de départ un respect profond du passé"

Ernest Renan

 

 

10 janvier 2013 4 10 /01 /janvier /2013 22:28

 

fofo_pesq.jpgJuste après la guerre, la Shoah servit aussi à fonder Israël. La souffrance de l'holocauste fut le prix du retrour à Jérusalem, le génocide le paiement de la terre. Il ne fallait pas moins d'un évènement jamais vu, d'un malheur inouï, d'un crime absolu, pour justifier au profit de ses victimes la création d'un état aussi extraordinaire lui-même. Et pour que les autres l'acceptent. Sans la Shoah personne n'aurait admis l'incongruité que fut la création d'Israël. Un bref survol des soixante ans qui l'ont préparé permet de s'en rendre compte.

Né en 1860 à Budapest d'un père banquier, le journaliste et dramaturge Thomas Herzl vit à Vienne dans la bourgeoisie juive libérale dont il partage le goût des lumières et l'assimilation quand, devant la montée de l'antisémitisme (1880-1900), il conçoit l'idée de rassembler le peuple juif dispersé. Il la baptise sionisme  Son nationalisme teinté de social n'est pas religieux, mais colonial: s'étant adressé en vain au Kaiser pour faire aboutir ses projets, il se tourne vers l'Angleterre et plus précisément vers Cecil Rhodes en lui disant "Mon programme est un programme colonial". Il songe à installer sa colonie où on lui laissera un bout de terre, Chypre, l'Ouganda, l'Argentine, le Congo... Il n'est pas religieux, il est même athée, mais avec le temps, il se rend compte que ceux qu'intéresse le projet le sont et que seule Sion les fait rêver, il voit que la "puissante légende" de la Bible, ce sont ses mots est le seul ciment du peuple juif. Aussi avec la première guerre mondiale et le démembrement de l'empire Ottoman, obtient-il en 1917 du premier ministre anglais Balfour, lui-même d'origine juive, que soit garanti "un foyer national juif en Palestine". C'est l'amorce du retour et de la Révolution sioniste.

Rien n'autorisait le premier ministre Britannique à faire cette promesse: à l'époque la guerre n'était pas finie, on ne savait pas comment elle tournerait, ni si les Turcs s'en iraient.  (...) Il fallut pour donner corps à "la déclaration Balfour", obtenir que la France renonce à ses droits au profit de la Grande-Bretagne, ce qui nécessita de nombreuses interventions, dont celle de Léon Blum. Outre ces anomalies diplomatiques, il y en eut une autre, morale, qui devait porter dans la suite des fruits mortels: les populations locales ne furent pas consultées sur ce fameux foyer juif. L'Angleterre obtint seulement l'approbation, sous conditions, de l'un des fils de l'émir du Hedjaz (en quoi était-il compétent ?), par l'intermédiaire du catastrophique Lawrence, dit d'Arabie. La colonisation juive entre les deux guerres fut lente, peu nombreuse, difficile, hétérogène. Des heurts eurent lieu avec les Arabes puis avec la puissance mandataire anglaise. Une armée secrète l'Irgoun, commença contre les uns et les autres une guérilla. Les plus durs de ses membres entrèrent en contact avec les Nazis pour que ceux-ci facilitent l'allia des jeunes de groupes paramilitaires juifs allemands et fournissent des armes contre les anglais.

En 1945, alors que l'Europe exsangue perdait son prestige dans le monde, alors que les emirs coloniaux français et anglais craquaient (...) alors qu’américains et russes entendaient en finir avec un colonialisme qui heurtait leur humanisme affiché et gênait leurs intérêts; à ce moment là commence le processus colonial qui va mener à la création d'Israël. Et cela dans une région très sensible, tout près de l'Egypte et du canal de Suez, tout près de la Syrie que Londres vient de soustraire à l'influence française, non loin de l'Arabie et de son pétrole. Bref dans la poudrière du Proche-Orient, on autorise, au moment où souffle le vent de la décolonisation, la création d'un état colonial, dont on sait de surcroît  par l'expérience de l'entre deux-guerres, que ses colons s'entendent mal avec des indigènes.

Une telle somme d'anomalies inouïes n'a pu passer que grâce à la Shoah.

L'URSS participa au consensus sur Israël. Elle contribua  à sa manière naïve, au récit du crime unique. (...) Elle alla même jusqu'à faire voter à l'ONU en 1975, une résolution assimilant le sionisme à un racisme. Mais jamais elle ne remit en cause la Shoah. (...) Le crime absolu exonérait l'URSS de ses propres crimes (y compris antisémites: plus Hitler avait éliminé de juifs, moins on comptait ceux que Staline avait éliminés) et permettait ainsi de maintenir sur l'ensemble de la planète la préférence communiste. (...) Sans la Shoah, il n'y a plus de "fascisme" qui vaille, il n'y a plus d'arme politique absolue.

Hannibal, A quoi sert l'histoire ? (2009)

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