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"N'oublie pas de rechercher aussi le bonheur que procure une compréhension nouvelle, apportant un lien supplémentaire entre le monde et toi. Ce devrait être l'oeuvre à laquelle tu apportes le plus grand soin, et dont tu puisses être le plus fier."

 

Albert Jacquard, A toi qui n'est pas encore né.

"On se fait généralement du progrès une idée fort élémentaire"

 

Régine Pernoud (1909-1998), historienne

"Moins d'histoire et de chronologie, ça ne va pas faire des jeunes gens modernes, ça va faire des jeunes gens amnésiques, consensuels et obéissants

Régis Debray

 

 

"Les véritables hommes de progrès ont pour point de départ un respect profond du passé"

Ernest Renan

 

 

6 octobre 2014 1 06 /10 /octobre /2014 14:41

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Les mainmises successives de l'Etat sur le médium(1) le plus efficace expriment sa vulnérabilité à ce même médium. On n'arrête pas Voltaire ? Certes, mais Voltaire a le droit d'écrire les lettres qu'il veut depuis Ferney, mais non de faire circuler les livres qu'il veut dans le royaume, parce que l'ordre public de l'absolutisme n'est plus à la portée d'un trait d'esprit, mais éventuellement d'une diffusion inconsidérée.

Sartre peut faire circuler les livres et les journaux qu'il veut, non faire la série TV qu'il veut parce que l'ordre public libéral est hors d'atteinte d'un pamphlet en librairie ou d'une vente à la criée dans la rue, mais peut-être pas d'un rendez-vous télévisuel. Dis-moi émetteur ce à quoi on t'oblige, je te dirai ce que tu peux. Il y a des canaux où tu as le droit de tout dire ? Ce sont ceux-là où ton dire peut le moins.(...)

Comme si un thermostat secret réglait la liberté de diffusion. Lorsqu'elle cède sur le livre (1830), l'autorisation préalable se concentre sur la presse et le théâtre. Lorsqu'elle abandonne la première à l'argent (1881), et le second à son caractère inoffensif (1906-1945), cette mesure passe au cinématographe (1909); réorganisée en 1961, elle est toujours en vigueur.  Lorsque la régulation fléchit sur l'industrie du cinéma (1975), elle se durcit sur la radiodiffusion et lorsqu'elle s'y trouve contestée (par les radios périphériques), elle s'est tournée, via le monopole, vers la télévision (où le Chagrin et la pitité de Marcel Ophüls est interdit d'antenne quoique autorisé à l'écran).

(...) C'est le volume de l'audience qui mesure à chaque fois la sévérité des lois. Comme si l'abondance ici recréait là, automatiquement, la rareté; comme si chaque discrimination sociale abolie reportait un cran au-dessus la nouvelle pierre de touche entre le vulgum et l'élite, le plouc et le chic. Par exemple, la démocratisation de la parole est conquise lorsque l'accès aux moyens d'impression est devenu réglementé. Quand tout le monde a pu faire des discours dans la rue ou sous un arbre, seuls quelques-uns pouvaient imprimer les livres. La "démocratisation" de l'imprimé intervient lorsque l'accès à l'audiovisuel devient hautement sélectif.

 

Régis Debray, cours de médiologie générale, onzième leçon, 1991

 

(1) médium: support de l'échange

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6 octobre 2014 1 06 /10 /octobre /2014 14:27

 

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Tout se passe comme s'il y avait un jeu à somme nulle, hier, entre la librairie et le Prince, aujourd'hui entre le journaliste et le ministre. Plus le premier est puissant et sûr de lui, plus le second est humble et précaire. (…) Le système des vases communicants a eu une traduction quantitative dans le commerce de la librairie. Au XVIe siècle, explosion de l'imprimé, implosion de l'Eglise romaine. Au XVIIe siècle déflation et recul des imprimés, apogée de la royauté. Au XVIIIe, gonflement livresque et folliculaire, affaissement de la monarchie. Comme si tout ce qui se gagnait d'un côté état autant perdu de l'autre. 

A partir de son expérience radiophonique, puis à l'ORTF, au service de la recherche, Pierre Schaeffer a résumé l'affrontement Pouvoir / Communication par la formule des gaz parfaits: « P.C = constante ». A communication nulle, pouvoir infini et réciproquement.(...)

La police de la parole publique traduit le fantasme de programation absolue dont le pouvoir absolu permet de s'approcher. En Corée du Nord, on assure que le seul journal quotidien ,celui du Parti, est imprimé avec quelques jours d'avance sur le jour de sa diffusion. (…) En limitant le nombre des émetteurs d'information ou en appauvrissant l'information émise, je réduis les marges de l'imprévu, de l'anormal, de l'aléatoire. Je gouverne mieux car je prévois mieux.(...) Du XVIe au XXe siècle, l'absolutisme politique a toujours eu la hantise des multiplicateurs intellectuels. Richelieu ne voit que danger dans la multiplication des collèges, comme Colbert dans celle des imprimeries.(...) Quant à Napoléon, il disait à Eugène: "il faut imprimer un peu et le moins sera le mieux".

 

Régis Debray, cours de médiologie générale, onzième leçon, 1991

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28 septembre 2014 7 28 /09 /septembre /2014 22:37

fofo_pesq.jpg"Circus politicus" de Christophe Deloire et Christophe Dubois révèle les réunions ultra secrètes des Conseils européens où tout se joue, dans les coulisses, dans de mystérieux clubs d’influence où les banquiers américains expliquent la vie aux politiques, dans les officines et les bureaux d’agents secrets…  

 quelques pas de la tour Hoover, sorte de minaret central d’une centaine de mètres de haut, la Hoover Institution détient dans ses archives sept boîtes intitulées ACUE Collection, un échantillon de l’histoire secrète de l’Europe politique. Fondé en 1948, l’American Committee on United Europe était une organisation privée qui finança des mouvements fédéralistes européens bien avant les traités de Rome.

 

 

L' ACUE n’avait pas pour seule obsession le décollage économique de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale, son objet était également politique : faire barrage à la pression communiste sur l’ouest de l’Europe.cold_war_4.jpg

Ce cénacle était d’ailleurs clairement une émanation des services secrets américains. Son président, William J. Donovan, avait dirigé à partir de 1942 l’Office of Strategic Services (OSS), une agence qui disposait de près de 35 000 agents. Inspirateur de la CIA, il est considéré comme « le père de l’Intelligence Service américain ». Le vice-président de l’ACUE ? Allen Dulles, qui avait dirigé le bureau de l’OSS à Berlin, avant de prendre en 1953 la direction de la Central Intelligence Agency pour plus de huit ans. (…)

Au-delà du soutien moral, le comité « accorde un soutien financier absolument nécessaire à des structures travaillant pour l’unité de l’Europe ». À la lecture de ces documents, il apparaît noir sur blanc que cette émanation des services secrets américains a financé le Mouvement européen, rassemblement d’unionistes et de fédéralistes européens fondé en 1948. Les noms des présidents honoraires du Mouvement européen figurent d’ailleurs sur la page de garde du document. Ce sont ceux de quelques pères de l’Europe : Winston Churchill, Alcide De Gasperi, Robert Schuman, Paul-Henri Spaak. (…)

Le soutien de l’ACUE au projet européen durera jusqu’en 1960, trois ans après le traité de Rome. Douze ans en tout, douze ans seulement, mais qui auront changé le monde et l’Europe. Le 20 avril 1960, son président, William C. Foster, qui a pris la succession de Donovan, annonce par écrit au président du Mouvement européen, Robert Schuman, qu’il s’apprête à suspendre les activités du comité et fermer ses bureaux à New York et Paris. En cas de besoin, le comité pourrait être réactivé, mais son œuvre historique est désormais réalisée : « Aujourd’hui, la Communauté européenne, avec ses institutions, la Cour et l’assemblée parlementaire, constitue une réalité[1]. »

Foster ne manque pas l’occasion de souligner le rôle de son cercle d’influence : « Nous croyons que le progrès de la décennie passée doit beaucoup au travail du Mouvement européen, à ses partenaires nationaux et internationaux et à d’autres organisations privées. Par divers moyens – manifestations publiques, recherche, programmes d’échanges, information, éducation –, ces groupes ont cherché à créer un nouveau climat en Europe. Nous avons eu le privilège de contribuer financièrement et moralement à ce travail. »

Robert Schuman répond dès le 8 mai 1960 au président de l’American Committee on United Europe : « Je ne puis que prendre acte, avec regret, de votre décision de suspendre, dans les tout prochains mois, vos activités[2]. » Mais pour l’ancien ministre des Affaires étrangères qui a prononcé, le 9 mai 1950, la fameuse déclaration considérée comme le discours fondateur de la construction européenne, le processus européen est loin d’être achevé : « Ce sont les raisons pour lesquelles je note avec le plus grand intérêt que la décision que votre comité a prise n’est pas de mettre fin à ses activités mais seulement de les suspendre provisoirement. » Schuman prend bien garde d’évoquer les financements du Mouvement européen par l’ACUE, comme l’a fait William C. Foster. Avec l’argent, les Américains n’ont pas nos pudeurs.

Au moment de la suspension des activités de ce lobby qui ne dit pas son nom, son trésorier est John McCloy, un juriste et banquier américain proche des compagnies pétrolières baptisées les « sept sœurs ». Très lié à la famille Rockefeller, ce dirigeant de la Chase Manhattan Bank et du Council on Foreign Relations était un ami personnel de Jean Monnet, considéré comme l’inventeur du projet européen. Conseiller de plusieurs présidents américains, McCloy fut l’un des contacts essentiels de Monnet au sein de l’appareil d’État américain, de la Seconde Guerre mondiale à la fin des années 60. Juste avant de trouver la mort à Dallas le 22 novembre 1963, Kennedy avait attribué aux deux hommes les premières Presidential Medals of Freedom. Lors de la cérémonie, le président Johnson prononcerait à propos du père de l’Europe les mots rédigés par son prédécesseur : « Citoyen de France, homme d’État du monde, il a fait de la persuasion et de la raison les forces politiques conduisant l’Europe vers son unité et les nations atlantiques vers un partenariat plus efficace[3]» Mais Monnet ne frayait pas seulement avec McCloy. (…)

Constantin Melnik, conseiller du Premier ministre Michel Debré pour la sécurité et le renseignement entre 1959 et 1962 témoigne : « Dulles estimait avoir sauvé l’Europe à travers les contacts avec les politiques. Et il me citait notamment le rôle de Schuman et Monnet. Oui, Schuman et Monnet avaient des liens avec la CIA. » Le Général en concevait de l’agacement : « De Gaulle voulait que les contacts avec la CIA soient concentrés au niveau des services et que les gens de la CIA cessent de voir directement Monnet et Schuman. »


Extraits de Circus politicus, Editions Albin Michel (1 février 2012)

[1] Lettre de William C. Foster, président de l’ACUE, à Robert Schuman, président du Parlement européen, 20 avril 1960.

[2] Lettre de Robert Schuman, président du Mouvement européen, à William C. Foster, président de l’ACUE, 8 mai 1960.

[3] Jean Monnet, Mémoires, Fayard, 1976.



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26 septembre 2014 5 26 /09 /septembre /2014 08:03
Les critiques de la démocratie athénienne

Le travail:

Sur votre cahier tâchez de présenter les principales critiques qui sont faîtes de la démocratie athénienne

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21 septembre 2014 7 21 /09 /septembre /2014 22:16
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14 septembre 2014 7 14 /09 /septembre /2014 14:01
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24 août 2014 7 24 /08 /août /2014 11:22
Évolution du PIB en France jusqu'en 2013

(évolution par rapport à l'année précédente en %)

 

 

en volume

Champ : France.

Source : Insee, comptes nationaux, base 2010.

2000

 

3,9

2001

 

2,0

2002

 

1,1

2003

 

0,8

2004

 

2,8

2005

 

1,6

2006

 

2,4

2007

 

2,4

2008

 

0,2

2009

 

-2,9

2010

 

2,0

2011

 

2,1

2012

 

0,3

2013

 

0,3

 

Evolution de l'indice du CAC 40(1) depuis 2005

Source: http://www.abcbourse.com/graphes/eod.aspx?s=PX1p&t=lc7

 

Qu'est-ce-qui saute aux yeux lorsque l'on compare l'évolution du PIB de la France et celui de l'indice du CAC 40 depuis 2008 ?

 

(1) Créé en 1987, le CAC 40 est le principal indice boursier de la place de Paris. Sa première cotation a été décidée le 31 décembre 1987 mais il est entré en vigueur le 15 juin 1988. C’est un panier composé de 40 valeurs de sociétés françaises. Ces sociétés sont choisies parmi les 100 sociétés françaises dont les volumes d’échanges de titres sont les plus importants. Chaque société a un poids déterminé par rapport à sa capitalisation

 sur NYSE Euronext.

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26 juillet 2014 6 26 /07 /juillet /2014 21:32

quand-bien-meme-2010

 

C'était le temps des Trente Glorieuses, et il y avait de quoi s'illusionner: la machine économique fonctionnait à plein rendement, alimentée par les ressources abondantes et pratiquement gratuites du tiers-monde. En ce temps-là, comme on sait, sur une société cendée nager dans la félicité planait un climat moral désabusé, probablement dû à la surabondance. "La France s'ennuie", lisait-on parfois dans la presse. Contrairement à aujourd'hui, la jeunesse avait un avenir assuré. Elle ressentait néanmoins un étrange malaise, comme si les excès de l'avoir abolissaient les besoins de l'être, la société de consommation créant simultanément besoins et frustrations. Le consommateur est à l'évidence le rouage d'une machine qui produit toujours plus, afin que l'on consomme toujours plus. Maniant l'aiguillon crétinisant d'une publicité omniprésente, elle joue avec le consommateur et s'en joue, telle une courtisane usant de ses charmes trompeurs, lui promettant des jouissances toujours plus extatiques.

Face à ce traquenard insidieux, il y eut le sursaut de Mai 68 contre la société de consommation. Parmi les mobiles très complexes de ce soulèvement, on peut en retenir un qui est à rapprocher du propos de cette ouvrage, à savoir un désir, exprimé ou sous-jascent, de modération. Surabondance et bonheur ne vont pas forcément de pair; parfois même, ils deviennent antinomiques. Il est probable que cette jeunesse, au-delà des idéologies alors florissantes, aujourd'hui obsolètes, auxquelles elle se référait, pressentait la confiscation de sa propore créativité par une société matériellement trop sécurisante, et pétrifiée dans un fait accompli à caractère, semblait-il, irréversible. Cette jeunesse aspirait probablement à un destin duquel le risque, l'inconnu donnent sens et saveur. La vie n'est une belle aventure que lorsqu'elle est jalonnée de petits ou grands défis à surmonter, qui entretiennent la vigilance, suscitent la créativité, stimulent l'imagination et, pour tout dire, déclenchent l'enthousiasme, à savoir le divin en nous. La joie de vivre est une valeur suprême à laquelle nous aspirons tous, mais que des milliards de dollars ne peuvent offrir. Elle est une sorte de privilège, le fait d'un prince mystérieux qui l'octroie à la chaumière et peut, à son gré, la refuser au palais le plus somptueux.

                                 Pierre Rabhi, La sobriété heureuse, Actes Sud, 2010

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23 juin 2014 1 23 /06 /juin /2014 23:13

“Si j’avais su qu’il était possible de sauver tous les enfants d’Allemagne en les transportant en Angleterre, mais seulement la moitié en les transportant en Palestine, j’aurais choisi la seconde solution – parce que nous ne devons pas seulement faire le compte de ces enfants, mais nous devons faire le compte de l’histoire du peuple juif.

Ben Gourion, décembre 1938 (un mois après les Nuits de cristal) (1)

 

Une représentation de l’État d’Israël semble généralement aller de soi pour le sens commun, les autorités politiques et judiciaires internationales et nationales et même très souvent le discours académique. Israël incarnerait la vocation à « sauver les Juifs » : foyer d’accueil pour les rescapés du Génocide et havre de sécurité pour les Juifs persécutés du monde entier.

Pourtant le sionisme réel est loin d’être conforme à cette représentation, en fait l’idéologie sioniste, mythe fondateur de l’État d’Israël. (2) Un accord signé entre les autorités sionistes et nazies me paraît particulièrement révélateur.

Le 7 août 1933 - quelques mois à peine après l’arrivée de nazis au pouvoir le 30 janvier 1933 - l’Accord Haavara (passage, transfert en hébreu, l’expression hébraïque est également utilisée dans les documents nazis) a été conclu entre les plus hautes autorités de l’État nazi et les plus hautes autorités du mouvement sioniste, notamment celles de la communauté juive implantée en Palestine (le Yichouv, de Hayichouv Hayehoudi beEretz Israël, l’implantation juive en Terre d’Israël).

Selon cet accord, les Juifs d’Allemagne qui émigraient en Palestine, avaient la possibilité exclusive – l’accord stipulait que seule cette destination pouvait en bénéficier ­– d’y transférer une partie de leurs capitaux. (3) Un « capitaliste » – terme utilisé dans l’accord – qui voulait s’installer en Palestine était autorisé à conclure un contrat avec un exportateur allemand pour l’expédition de marchandises dans ce pays. Les marchandises concernées étaient notamment du bois d’œuvre, des pompes et des machines agricoles. L’exportateur allemand était payé sur le compte bloqué du Juif émigrant qui après son arrivée – souvent 2 ou 3 ans plus tard – recevait de l’Agence Juive la contrepartie en livres palestiniennes. L’accord concernait uniquement les Juifs qui disposaient de capitaux importants. (4) On notera qu’il s’agissait de clearing commercial et nullement d’échanger des Juifs contre des marchandises palestiniennes.

Des opérations de troc des mêmes marchandises allemandes contre des produits de Palestine se sont ajoutées aux opérations de clearing commercial. Toutes ces opérations se sont poursuivies, même après les Nuits de cristal du 8 au 10 novembre 1938, jusqu’à la Déclaration de Guerre en septembre 1939 selon Raul Hilberg (5) et jusqu’au milieu de la Guerre 1939-1945 selon Tom Segev. (6)

L’accord Haavara s’inscrit dans un important projet d’irrigation agricole en Palestine. Lévi Eshkol (à l’époque Lévi Shkolnik) a sans doute été le principal promoteur de l’accord. Il était un des fondateurs de la Histadrout – Fédération générale du travail – où il était le responsable de la promotion de l’agriculture coopérative. Au moment de la négociation et de la signature de l’accord, il était le représentant à Berlin d’une firme, Yachin (7), associée à la Histadrout. Selon la notice biographique diffusée par le Ministère des Affaires étrangères israélien : « En 1937, Levi Eshkol a joué un rôle central dans la création de la Compagnie des Eaux Mekorot et, dans ce rôle, il a contribué de façon décisive à convaincre le gouvernement allemand de permettre aux Juifs qui émigraient en Palestine d’emporter une partie de leurs fonds – principalement sous forme d’équipements fabriqués en Allemagne. Directeur général de Mekorot jusqu’en 1951, il a introduit un système national de gestion de l’eau qui a rendu possible une agriculture irriguée intensive. » (8) La compagnie Mekorot était associée à la Histadrout.

Il est évidemment significatif que le principal promoteur de l’accord Haavara soit un des plus hauts responsables de la communauté juive implantée en Palestine mandataire puis dans l’État d’Israël. Lévi Eshkol faisait partie du Haut Commandement de la Hagana, l’armée clandestine juive sous le Mandat britannique et, en 1950-1951, il est le directeur général du Ministère de la Défense. De 1949 à 1963, il est le chef du département de la colonisation de l’Agence juive. (9) En 1951, il devient Ministre de l’Agriculture et du Développement. Il est Ministre des Finances de 1952 à 1963. En 1963, il succède à David Ben Gourion à la fois comme Premier ministre et comme ministre de la Défense.

L’accord Haavara a suscité de vives oppositions parmi les Juifs de l’époque. Cet accord qui bénéficiait du soutien des plus hautes autorités nazies (10) et des plus hautes autorités sionistes (11), traduisait les intérêts complémentaires des nazis, qui voulaient que les Juifs quittent l’Allemagne, et des sionistes, qui voulaient qu’ils émigrent en Palestine. Or la plupart des Juifs allemands auraient préféré rester dans leur pays. L’idée d’un boycott économique et diplomatique international naquit aux États-Unis avec le soutien du Congrès juif américain. Il avait pour but d’essayer de forcer les nazis à mettre fin aux persécutions afin que les Juifs puissent continuer à vivre en Allemagne. (12)

Le débat entre l’incitation à l’émigration en Palestine et l’appel au boycott de l’Allemagne nazie s’inscrit dans l’opposition qui existait de longue date entre sionisme et assimilation, entre d’une part, la volonté de certains Juifs – une petite minorité – d’émigrer en Terre d’Israël et d’autre part, la volonté d’autres Juifs – une écrasante majorité – de rester dans leur pays ou d’émigrer ailleurs qu’en Israël, ce qui impliquait évidemment le désir que leurs droits humains soient respectés partout – notamment en Allemagne – et donc de combattre l’antisémitisme.

Selon Ben Gourion, « les assimilationnistes ont toujours déclaré la guerre à l’antisémitisme. Aujourd’hui, cette guerre s’exprime par un boycott contre Hitler. Le sionisme, lui, a toujours plaidé pour l’indépendance du peuple juif dans sa patrie. Aujourd’hui, certains sionistes ont rejoint le chœur des assimilationnistes : « guerre » à l’antisémitisme. Mais nous devons donner une réponse sioniste à la catastrophe que subissent les Juifs allemands – transformer ce désastre en une occasion de développer notre pays, et sauver les vies et la propriété des Juifs d’Allemagne pour le bien de Sion. C’est ce sauvetage qui a priorité sur tout le reste. » Et Ben Gourion de conclure que se focaliser sur le boycott constituerait un « échec moral » d’une envergure sans précédent. (13)

À l’évidence, « sauver les Juifs » n’était pas la priorité de celui qui, 10 ans plus tard, sera le père fondateur de l’État d’Israël. Le 7 décembre 1938, un mois à peine après les Nuits de cristal, Ben Gourion déclare : « Si j’avais su qu’il était possible de sauver tous les enfants d’Allemagne en les transportant en Angleterre, mais seulement la moitié en les transportant en Palestine, j’aurais choisi la seconde solution – parce que nous ne devons pas seulement faire le compte de ces enfants, mais nous devons faire le compte de l’histoire du peuple juif. » (14) Il s’agit tout simplement d’ultranationalisme, de la primauté absolue du bien de Sion sur tout le reste, y compris la vie des Juifs.

Les opérations de clearing commercial de l’accord Haavara permettaient exclusivement le départ des Juifs fortunés. Or les nazis voulaient aussi et bien plus encore se débarrasser de tous les autres. Reinhardt Heydrich, chef de la police de sécurité du Reich, déclare le 12 novembre 1938, soit 2 jours après les Nuits de cristal : « Le problème n’était pas de faire partir les Juifs riches mais de se débarrasser de la racaille juive. » Ce féroce antisémite a même mis sur pied – en soutirant des fonds à des Juifs fortunés – diverses formes d’aide pour que des Juifs pauvres puissent se payer le voyage en Palestine. (15)

J’ai noté que, dans le cadre de l’accord Haavara, le troc entre marchandises allemandes – matériaux de construction, pompes et machines agricoles – et palestiniennes s’était ajouté aux opérations declearing commercial. Il semble clair que les autorités sionistes n’ont jamais envisagé de troquer des Juifs sans fortune contre des produits de Palestine. En d’autres termes, les plus hautes autorités du mouvement sioniste – notamment celles de la communauté juive implantée en Palestine – ont préféré se procurer des instruments de colonisation plutôt que de permettre à des Juifs d’échapper au massacre nazi. Ce qui est parfaitement conforme au sionisme réel : la priorité absolue à la colonisation de la Terre d’Israël.

Les quelque 20 000 Juifs fortunés qui ont bénéficié de l’accord Haavava lui doivent plus que probablement la vie (16) puisque les 200 000 Juifs d’Allemagne et d’Autriche qui n’ont pas réussi à fuir parce qu’ils ne disposaient pas des capitaux nécessaires, ont pratiquement tous été assassinés.

En 1953, ces Juifs assassinés ont quand même pu contribuer au « bien de Sion » puisqu’ils ont permis à l’État d’Israël d’obtenir des « réparations » un peu plus plantureuses. En effet, le nombre des victimes juives du génocide a servi de base au calcul du montant des « réparations » allemandes. Au moment où elles négociaient ce montant, les autorités de l’État d’Israël – celles-là mêmes qui avaient négocié l’accord Haavara – ont envisagé, sans doute par gratitude, d’accorder la citoyenneté israélienne à titre posthume aux victimes du génocide. (17)

L’accord Haavara montre clairement qu’en pleine terreur antisémite, le but des autorités sionistes n’était pas de combattre l’antisémitisme – « sauver les Juifs » – mais de l’exploiter afin de coloniser la Palestine, Terre d’Israël. « La veille des pogroms de la Nuit de Cristal, Ben Gourion déclarait que la « conscience humaine » pourrait amener différents pays à ouvrir leurs portes aux Juifs réfugiés d’Allemagne. Il y voyait une menace et tira un signal d’alarme : « Le sionisme est en danger ! » (18)

Jacques Bude

 

Notes :

(1) « Des rapports – incomplets – (des autorités nazies) donnaient les chiffres suivants : 815 magasins détruits ; 171 maisons incendiées ; 191 synagogues brûlées ; 14 chapelles de cimetière, salles de réunion communautaires et bâtiments du même genre démolis. Vingt mille Juifs furent arrêtés, trente-six tués, trente-six autres gravement blessés. » Raul Hilberg, La destruction des Juifs d’Europe, Paris, Folio, 1999, p.44.

(2) Selon la Déclaration d’Indépendance d’Israël du 14 mai 1948 : « La Shoah, qui anéantit des millions de Juifs en Europe, démontra à nouveau l’urgence de remédier à l’absence d’une patrie juive par le rétablissement de l’État juif dans le pays qui ouvrirait ses portes à tous les Juifs. »

(3) Voir Raul Hilberg, La destruction ..., notamment p.125.

(4) « Tout Juif qui émigrait en Palestine (était autorisé) à emporter mille livres sterling en devises étrangères et à envoyer par bateau une quantité de marchandises d’une valeur de 20000 marks et même davantage. ... La somme de mille livres sterling était nécessaire pour obtenir l’autorisation de la Grande-Bretagne de s’installer en Palestine en tant que Capitaliste – on appelait ainsi cette catégorie d’immigrants. C’était une somme importante ; une famille de quatre personnes pouvait vivre dans un confort bourgeois avec moins de 300 livres sterling par an. » Tom Segev, Le septième million, Éd. Liana Levi, 2010, p.27.

(5) Raul Hilberg, La destruction ..., p.125

(6) Tom Segev, Le septième ..., p.30. Dans ce cas, le système Haavara enfreignait le blocus de l’Allemagne imposé par les Alliés au moment de la Déclaration de guerre en septembre 1939.

7 Il s’agit probablement d’une entreprise de commercialisation de produits agricoles, sans doute des agrumes. Il existe aujourd’hui en Israël une Yachin-Hakal Company Ltd. qui dans le passé était associée à la Histadrout et qui en 2013 est qualifiée de “Israel’s largest citrus fruit grower“ (Le plus important producteur d’agrumes en Israël)

www.mfa.gov.il/MFA/Facts%20About%20Israel/State/Levi%20Eshkol (traduction de l’anglais).

9 « Head of the settlement division of the Jewish Agency » (settlement signifie colonie, implantation).

10 L’Accord a été signé au Ministère des Finances du Reich. Voir Tom Segev, Le septième ..., p.27.

11 Levi Eshkol n’a pas été le seul futur Premier ministre israélien à soutenir l’accord. « D’autres futurs Premiers ministres avaient été également engagés à différents stades de la Haavara. David Ben Gourion et Moshé Shertok (plus tard Sharett) se battirent pour l’accord de la Haavara lors de congrès sionistes et au sein de l’exécutif de l’Agence juive. Golda Meyerson (plus tard Meïr) le défendit à New York. » Tom Segev, Le septième ..., p.29.

12 « Les nazis ... ne prirent pas à la légère la capacité des Juifs à leur causer du tort ; ils menacèrent la classe dirigeante juive en Amérique, ils organisèrent un boycott d’une journée contre les magasins juifs en Allemagne et donnèrent un coup d’accélérateur aux négociations de l’accord de la Haavara. L’un de leurs buts était de diviser le monde juif entre les partisans de la Haavara et les partisans du boycott. Et la division eut effectivement lieu. » Tom Segev, Le septième ..., p.35.

13 Tom Segev, Le septième ..., p.37.

14 Déclaration faite au Comité central de son parti, le Mapai (socialiste). Voir Tom Segev, Le septième ..., p.38.

15 Raul Hilberg, La destruction ..., p.127.

16 Ils perdirent 35 % de leur capital et furent forcés d’attendre longtemps leur argent, parfois pendant deux ou trois années, mais ils survécurent. Voir Tom Segev, Le septième ..., p.30.

17 « Le projet de loi sur la commémoration de la Shoah et des Héros (Yad Vashem, 1953) ... comportait une clause prévoyant l’attribution à titre commémoratif de la citoyenneté israélienne à tous ceux qui étaient morts pendant la Shoah. » Idith Zertal, La nation et la mort, Paris, La Découverte, 2008, p.85.

18 Tom Segev, Le septième ..., p.38-39.

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11 juin 2014 3 11 /06 /juin /2014 11:46

Un représentant de la fierté d'appartenir au "peuple élu"

"Les juifs, matériellement et intellectuellement supérieurs, avaient perdu tout à fait le sentiment de leur solidarité de race (...) Les juifs forts reviennent fièrement à leur race lorsqu'éclatent les persécutions" (L'Etat Juif, 1896)

Un représentant laïque qui n'utilise pas la religion comme ciment du projet naissant

La question juive n'est pour moi ni une question sociale, ni une question religieuse, bien qu'elle prenne parfois ces formes parmi d'autres. C'est une question nationale (...) Nous sommes un peuple - une seul peuple" (L'Etat Juif, 1896)

D'ailleurs au départ la position d'Herzl l'éloigne des autorités religieuses (rabbins) pour lesquelles le projet d'un Etat n'est absolument pas nécessaire. Ces dernières souhaitent prioritairement l'union des enfants qui croient en un Dieu unique. Autrement dit de nombreux juifs ne se considèrent pas comme une nation (concept inventé par les européens au XIXe siècle) mais comme une communauté religieuse (cf Conférence rabbinique de Pittsburg en 1885)

Un représentant anti-assimilationniste

"Un homme doit choisir entre Sion et la France " (Journal)

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